lundi 7 décembre 2015

Le temps de la prière ?



Je ne me souviens plus des mots exacts de Bonhoeffer mais il écrit quelque part que la foi a deux expressions : « la prière » et « l’action juste »… 
C’est peut-être le temps de la prière ?



Certes, les ténèbres couvrent la terre et une obscurité épaisse recouvre les peuples ;

mais sur toi l’Eternel se lève, sur toi sa gloire apparaît.

Livre du prophète Esaïe, chap. 60, v. 2



Éternel Dieu, dans ce temps de l’avent, à l’annonce de ta lumière,

Nous ne pouvons que reconnaître que nous sommes de pauvres pécheurs,

Enclins au mal et incapables par nous-mêmes d’être dans l’espérance.



Tu vois notre Pays,

Tu vois la haine de nos concitoyens qui répond à la violence,

Les barbares semblent parler aux barbares : extrême droite ou daesh,

ce sont les mêmes ténèbres sur notre terre, 
c'est la même amertume, les mêmes manques d'espérance.



Oui, que l’obscurité est épaisse ! Éternel Dieu !

Que nos consciences sont chargées et nos esprits agités.



Dans notre marche vers Noël,

Il nous faut reconnaitre que nous ne savons pas nous ouvrir à la joie,

Nous avons du mal à vivre de ta grâce,

La peur semble gagner la partie.



Et pourtant, Éternel Dieu,

Tu nous redis encore ces deux mots de ta bonne nouvelle :

Paix et Amour.



Deux mots pour tenir la fidélité à l’enfant de la crèche,

Deux mots pour dire l’humanité du mourant de la croix,

Deux mots pour dire l’espérance de nos vies ouvertes à Pâques.



Deux mots pour lutter contre les ténèbres et l’obscurité,

Deux mots pour ouvrir les consciences à une liberté donnée,

Deux mots pour tisser la fraternité jusqu’aux extrémités de la terre.



Paix et Amour :

Permets, nous t’en prions, Éternel Dieu,

Que nous soyons participant de tes projets pour ce monde.

Luttant contre la barbarie, l’obscurité et les ténèbres,

Nous attachants à ta lumière, à la joie de Noël,

Pour ta seule gloire.

Amen

Prédication du 2ème dimanche de l'avent





Évangile selon Luc, chap. 2, 46 à 55 : 

46Et Marie dit : 
 Je magnifie le Seigneur,
47je suis transportée d'allégresse en Dieu, mon Sauveur, 48parce qu'il a porté les regards sur l'abaissement de son esclave.
Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse,
49parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Son nom est sacré,
50et sa compassion s'étend de génération en génération
sur ceux qui le craignent.
51Il a déployé le pouvoir de son bras ;
il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,
52il a fait descendre les puissants de leurs trônes,
élevé les humbles,
53rassasié de biens les affamés,
renvoyé les riches les mains vides.
54Il a secouru Israël, son serviteur,
et il s'est souvenu de sa compassion
55— comme il l'avait dit à nos pères —
envers Abraham et sa descendance, pour toujours.

Pour ce temps de l’avent – le Magnificat. Ce texte poétique, une prière ou un chant qui est mis à l’ouverture de l’évangile selon Luc avec d’autres prières ou chants : ceux de Zacharie, de Syméon.

Ce chant, ce texte nous l'avons déjà ouvert la semaine dernière, j'ai voulu souligner dans la prédication combien Marie annonçait le Christ comme une femme de son temps, une femme de son peuple : une femme Juive qui reprenait la louange à son Dieu, le Dieu d'alliance, le Dieu des Pères : Abraham, Isaac et Jacob. Vendredi lors du culte en semaine pour aller un peu plus loin, je me suis arrêté à la féminité de Marie et à la place de la femme dans la religion.

Aujourd'hui, dans ce chant de Marie je voudrai faire résonner particulièrement deux mots : Joie et humilité. La Joie, tout le vocabulaire de l’exaltation de Marie l’exprime : « je magnifie le Seigneur », « je suis transportée d’allégresse », « chaque génération me dira heureuse » ou « bienheureuse » selon les traductions.

Joie, Allégresse, Heureuse ou bienheureuse ; la joie est donc clairement affichée au démarrage de l’évangile selon Luc, et la joie marque en fait la naissance du Christ. Naissance qui est annoncée aux bergers avec ces mots : « je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie ».

Mais cette joie est dite dans l’humilité : Au milieu de ces expressions de joie, il y a des mots de Marie qui sont des mots rudes, tout de même : Dieu, mon sauveur, « a porté les regards sur l’abaissement de son esclave » - le registre de l’abaissement n’est déjà pas très heureux, mais la répétition se fait insistante : abaissement de son esclave. Marie développe ici ce que l’on peut appeler en termes techniques : une anthropologie négative ; elle est une esclave et une esclave abaissée – redondance qui fait de Marie non pas une reine des cieux mais bien une humble servante.

Joie et humilité : la joie arrive à cette femme qui se considère comme pas grand-chose alors qu’elle était somme toute promise à la descendance de David – il y a donc là non pas un constat social, mais bien un exercice d’humilité, au sens noble. Un acte d’humilité qui je crois prends tout son sens dans la suite du chant : le Seigneur « disperse ceux qui avaient des pensées orgueilleuses, il fait descendre les puissants de leurs trône, élève les humbles, rassasie de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides »

Élévation des humbles et dispersion des orgueilleux sont à entendre comme le programme de la joie. La joie, oui, joie qui donne son sens à l’évangile, la bonne nouvelle, joyeux message : Souvenons-nous que la première prédication, le premier enseignement de Jésus que nous rapporte l’évangile selon Luc, dans la synagogue de Nazareth, est dite à partir du rouleau d’Esaïe :

« L’Esprit du Seigneur est sur moi  parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyer pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le retour à la vue ; pour renvoyer libres les opprimés, pour proclamer une année d’accueil de la part du Seigneur ».

La joie et l’humilité sont liées au même titre que la bonne nouvelle est liée à une certaine humilité, à une certaine pauvreté. Luc insiste ici particulièrement sur les caractéristiques sociales – dans un tout autre registre l’évangéliste Marc rapportera, au début du ministère de Jésus, sa parole : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs ». Chez Matthieu dans le même genre, ce sera le registre du petit et notamment « du plus petit d’entre les frères ». Le pauvre, le malade, le plus petit ce sont les destinataires de l'évangile.

Humbles et pauvres chez Luc, malades et pécheurs chez Marc, les plus petits chez Matthieu – l'évangile trace des anthropologies négatives à partir desquelles résonne le salut : la joie de Marie, le rassasiement des affamés de son Magnificat, la guérison et le pardon pour les malades et les pécheurs de Marc. Tel est le règne de Dieu MAINTENANT ! Car c’est bien de cela dont il s’agit. Si Marie se reconnaît esclave, et qui plus est esclave abaissée, ce n’est pas par pur plaisir de s’humilier, ni par pessimisme ou dépression.
Il s’agit de dire le règne de Dieu MAINTENANT !. Ce règne de Dieu que Jésus proclamera à son tour, après Marie. Mais règne que Marie n’est pas la première à chanter, déjà Anne dans le premier testament le chantait, où encore ce règne de Dieu dit en terme joie et d'humilité se retrouve à chaque page du livre des psaumes. Ou presque. Nous pouvons l'entendre au psaume 146.

Louez le SEIGNEUR (Yah) ! Que je loue le SEIGNEUR ! Je louerai le SEIGNEUR tant que je vivrai, je chanterai pour mon Dieu tant que j'existerai. 
Ne mettez pas votre confiance dans les nobles, dans des humains à qui n'appartient pas le salut. Leur souffle s'en va, ils retournent à leur poussière, et le jour même leurs intentions disparaissent. 
Heureux celui qui a pour secours le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR, son Dieu, lui qui fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve, lui qui garde la loyauté pour toujours ! 
Il agit envers les opprimés selon l'équité ; il donne du pain aux affamés ; le SEIGNEUR relâche les prisonniers ; le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles ; le SEIGNEUR redresse ceux qui sont courbés ; le SEIGNEUR aime les justes. Le SEIGNEUR garde les immigrés, il soutient l'orphelin et la veuve, mais il fait dévier la voie des méchants. 
Le SEIGNEUR régnera toujours — ton Dieu, Sion, de génération en génération ! Louez le SEIGNEUR (Yah)

Parler du règne de Dieu, à la suite du Magnificat, à la suite de ce psaume 146 peut se résumer en quelques mots : "ne faites pas confiance aux princes". On dirait aujourd’hui : ne vous fiez pas aux gouvernements. C’est l’expérience des pauvres de tous temps, qu’il s’agisse de nations ou d’individus. Le monde s’est toujours structuré contre eux, les pauvres, et les grands sont ligués pour les opprimer. Une seule solution, pour le psalmiste de jadis : mettre son espoir en l’Eternel, qui seul peut modifier la situation au profit des pauvres en établissant son règne ».

Une seule solution, pour Marie et le Magnificat : reconnaître dans le monde, dans son aujourd’hui, le pouvoir du bras de Dieu déployé. Il ne s'agit pas d'un discours politique – surtout pas un jour d'élection comme aujourd'hui. Mais il s'agit de reconnaître et croire. Karl Barth le redisait au XXème siècle : « nous vivons dans le monde et ce monde est le monde de Dieu, créé, maintenu et régi par Lui. Nous vivons totalement dans le monde où c’est opéré la réconciliation en Christ. Non pas quelque abîme où Dieu ne serait absolument pas présent, mais en un monde où Dieu a parlé, a agi par Sa parole ».

Car si entre arrogants et humble se dit la joie du Magnificat de Marie, si entre  riches et pauvres se joue la prédication du royaume, si entre puissants et petits se dit l’Evangile comme joyeux message c’est qu’il y a là un enjeux de foi, un enjeu de confiance en Sa parole. Oui l’évangile n’a jamais invité à la révolution mais à la foi en la parole.

Au temps de la réforme, Luther le soulignait déjà dans son commentaire du Magnificat : « Dieu élève les humbles. Cela ne veut pas dire qu’il les met sur des trônes à la place de ceux qu’il en a fait descendre » et il concluait en écrivant : « encore faut-il que nous ayons assez de foi pour croire à la vérité de la Parole ».

Les humbles, les pauvres, les petits sont ceux qui ne suffisent pas en eux-mêmes, ceux qui reconnaissent qu'ils ont besoin de Dieu, ceux qui se reconnaissent comme dépendant, en manque, dans le besoin. Eux sont dépendants, en manque, dans un besoin de confiance. Ils ne se suffisent pas à eux-mêmes et ont de la place pour l’A/autre, ils peuvent faire confiance à une parole venue du dehors.

Marie se disant humble, pauvre et petite – dans l’abaissement d’une esclave – elle fait confiance en une parole qui lui est  dite pour elle, intimement pour elle, et elle reçoit la joie. Il faut se reconnaître esclave pour être libéré, malade ou infirme pour trouver la guérison ; accepter d’être trouvé pécheur pour être pardonné.

Paul Tillich définissait la foi comme « le courage d’accepter d’être accepté alors mêmes que nous étions inacceptables ». J'utilisais cette définition de la foi en septembre : « accepter d'être accepté alors que nous sommes inacceptables ». C’est à ce prix que la joie avec Dieu peut-être vécue, MAINTENANT ! Que le joyeux message peut être entendu et que la louange alors peut-être dite : Magnificat ! Le règne de Dieu est le programme de l’évangile.

Dans ces temps de l’avent, alors que nous marchons vers les fêtes les mémoires troubles de tout ce qui a été traversé ces derniers temps, le Magnificat peut résonner comme une double exhortation

La première exhortation, pour nous-mêmes :
Il ne faut pas nous enfermer dans nos richesses, dans nos avoirs, dans ce que nous pouvons offrir ; ces enfermements sont autant de puissance que Dieu met à nu. Bien plus, le magnificat nous exhorte à reconnaître nos pauvretés, nos manques, ce que nous avons à recevoir, toujours : la joie d’une parole qui donne à vivre. C’est cela qui peut donner sens à nos fêtes.

La seconde exhortation, pour nous ouvrir aux autres :
Dans 15 jours ce sera Noël, aujourd'hui se termine notre collecte pour les enfants de la cimade. La diaconie, l'attention aux plus petits est fondamentalement constitutive de l’église. La prédication de l’évangile ne peut se passer de l’attention aux pauvres, aux petits, aux humbles à celles et ceux qui souffrent. La fête de Noël, ne peut être une fête si nous laissons les autres sur nos routes, au bord du chemin. L’église, la communauté, a besoin d'être actrice d'entraide car, c'est là, un point d’ancrage dans le monde de la Parole aujourd’hui. Une paroissienne me disait dernièrement qu'elle trouvait que dans l'église : "on parlait beaucoup des étrangers". Nous ne pouvons pas renier cette préoccupation, au nom de l'évangile, au nom de la bonne nouvelle de Noël, d'un Dieu qui se lie à notre humanité : l'attention aux pauvres, aux petits, aux exclus de notre temps, n'est pas une option - c'est le mouvement même de la mission de Dieu. 

Magnificat !
Notre Dieu est un Dieu de compassion, un Dieu d’amour pour chacun d’entre nous, jusqu’au plus petits d’entre nos frères, jusqu'à ceux qui nous dérangent et nous gènent.
Que cet amour soit, malgré tout ce que nous connaissons et rencontrons comme souffrance et comme misère, source de vie et de joie, maintenant, dans notre chemin vers Noël.
Au Christ seul soit la gloire. Amen

dimanche 29 novembre 2015

Prédication du 1er dimanche de l'avent - 29 novembre 2015

Evangile selon Luc, chap. 2, 46 à 55 : 

46Et Marie dit : 
 Je magnifie le Seigneur,
47je suis transportée d'allégresse en Dieu, mon Sauveur, 48parce qu'il a porté les regards sur l'abaissement de son esclave.
Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse,
49parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Son nom est sacré,
50et sa compassion s'étend de génération en génération
sur ceux qui le craignent.
51Il a déployé le pouvoir de son bras ;
il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,
52il a fait descendre les puissants de leurs trônes,
élevé les humbles,
53rassasié de biens les affamés,
renvoyé les riches les mains vides.
54Il a secouru Israël, son serviteur,
et il s'est souvenu de sa compassion
55— comme il l'avait dit à nos pères —
envers Abraham et sa descendance, pour toujours.

Nous voici au premier dimanche de l’avent : « déjà ! » diront certain, ceux qui ne voient pas le temps passer, ceux qui ne comptent plus les jours ajoutés aux jours. « Enfin ! » diront d’autres, heureux de voir se terminer cette année 2015, enfin ! Que ce soit un déjà ou un enfin, l’avent est, déjà ou enfin, ce temps qui s’ouvre vers Noël.
Suzanne de Dietrich, théologienne « laïque », c'est-à-dire jamais « ordonnée », est une femme qui a marqué les églises tant protestantes que catholiques dans les années 60 à 70. Elle évoquait ainsi les débuts de l’évangile :
« l’ère qui s’ouvre est celle du règne de Dieu. C’est le Roi en personne qui vient vers les siens pour accomplir leur libération.
Le prince étranger auquel Jésus vient arracher son peuple n’est plus un Pharaon ou un Nébuchadnetzar, mais bien le « Prince de ce monde » dont les Pharaons et les Nébuchadnetzar n’étaient que les éphémères figurants sur la scène de l’histoire.
Le joug dont Jésus va le délivrer est celui du péché ; l’exil dont il va le délivrer est la grande fuite loin de la face de Dieu. Il est l’Emmanuel : Dieu avec nous ».
C’est ça l’avent ! Se préparer à faire face à l’Emmanuel, faire face à Dieu, entendre la prédication du règne de Dieu, la Parole de libération du péché : Etre arraché de la mort pour être vivant rien de moins ! Le programme est considérable.
Dans notre parcours de l’avent, le texte de l’évangile selon Luc va servir de base à toutes mes prédications – rythmant notre marche vers Noël.
Ce texte, ce magnificat est le témoignage d’un avent. L’avent de Marie, quand elle entame son Magnificat, Marie est enceinte et elle le sait. Elle sait aussi pourquoi elle est enceinte : Gabriel, le messager de l’Eternel, l’ange du ciel, lui a tout dit : son fils « sera appelé Fils du très haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David ». Ce Magnificat est donc le témoignage de Marie rédigé par Luc à la suite de sa rencontre avec l’ange, avec ce messager et la parole de son Dieu. Témoignage de Marie.

Marie, et il faut bien commencer par là, Marie la caricature : Marie la mal aimée du protestantisme et la bienaimée du catholicisme – caricature-t-on souvent. Sans se souvenir ou sans savoir que si Luther et Calvin admettaient la virginité perpétuelle de Marie, saint Thomas d’Aquin, lui, la refusait. Eh oui, un des plus grands docteurs de l’église catholique refusait le dogme marial tout en étant canonisé.
Marie caricaturée, déchirée : « les protestant ne croient pas en Marie » entend-t-on souvent, comme si, comme si nous avions arraché des pages de nos Bibles. De la même manière caricature-t-on la théologie catholique en l’enfermant dans une dogmatique sévère. Tout n’est pas blanc ou noir…
Car oui, Marie est un personnage biblique, une de ces femmes qui marquent le récit de la révélation de Dieu, qui marquent ce récit fortement. Une parmi d’autre – car elle n’est pas la seule, et surtout elle n’est pas la première femme à marquer le texte Biblique. A l’écoute du Magnificat, on peut se souvenir particulièrement d’Anne, tant les deux femmes sont proches malgré les siècles qui les séparent.
Anne cette femme stérile du premier testament dont le Seigneur se souvient, qui tombe enceinte et qui apporte son garçon Samuel au temple, pour le service du Seigneur. Anne qui alors a prié comme Marie a chanté : « Par le Seigneur mon cœur exulte »…. Comme Anne, Marie est une femme de la Bible, une femme en relation avec Dieu, avec le Dieu de la première alliance, car c’est une femme juive.
D’ailleurs, tout dans le Magnificat dit de Marie qu’elle est une fille d’Israël, la suite du récit le répètera. « Marie reprend la prière des femmes de son peuple », j’ai cité Anne, mais il y avait aussi Myriam dans le livre de l’Exode. « Elle est d’autre part soumise à la législation concernant les différents états de la femme ». Par exemple, l’insistance sur la virginité de Marie est de l’ordre du respect de la loi et de la tradition. Loi et tradition qui seront respectées après la naissance de Jésus avec sa circoncision, sa présentation au temple et les rites de purification.

Marie, une femme juive, à travers ses mots, fait acte d’une véritable confession de foi – elle nomme son Dieu, elle le désigne. Son chant transpire de l’identification de son Dieu. Dans la louange elle dit qui est Dieu, qui est Dieu pour elle. Cette nomination, cette désignation passe par plusieurs traits – j’en relève trois.
D’abord il y a ce que classiquement on appel les titres - elle nomme Dieu à travers 3 titres : le Seigneur, mon Sauveur, le Puissant. En quelques mots un visage de Dieu se dessine : Dieu est Seigneur : « celui qui a la souveraineté » - « désignation liturgique de Dieu ». Dieu est le Sauveur de Marie – on ne peut se passer d’une rencontre individuelle et personnelle, prise de conscience, dans laquelle le Seigneur devient mon Sauveur ; celui qui me relève et me donne à vivre. Par là, le Seigneur, mon Sauveur est le Puissant : reconnu comme celui qui est la source de ma vie, la puissance qui m’anime et me donne le souffle.
Mais en plus de ces titres, Marie nous livre ensuite un visage de Dieu qui est en quelque sorte sa relecture du premier testament. Dieu y apparaît comme le libérateur, celui qui élève les humbles, celui qui rassasie les affamés et qui donne à tous juste de quoi vivre ; il donne aux pauvres et renvoi les riches les mains vides mais vivant – juste de quoi vivre.
Il apparaît alors comme le Dieu de l’alliance avec Abraham. Le Dieu qui promettait un peuple élu et une terre promise. Oui, au risque de me répéter, le Dieu de Marie est fondamentalement le Dieu de la première alliance, le Dieu des juifs, ce Dieu dont « le nom est sacré », au point que l’on ne le désigne pas.
Enfin et à deux reprise Marie par son chant nous dit que Dieu a compassion. Au v. 50 : « sa compassion s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent » ; et au v. 54 : « il s’est souvenu de sa compassion – comme il l’avait dit à nos pères, envers Abraham et sa descendance pour toujours ».
Avec ce motif de la compassion, Marie n’invente pas, mais elle reprend un motif biblique, déjà dans le psaume 103 il est écrit au v. 4 que « le Seigneur te couronne de fidélité et de compassion » puis au v. 13 : « Comme un père a compassion de ses fils, le Seigneur a compassion de ceux qui le craignent ».
Le pasteur Jean Vannier écrivait que
 « la compassion est une qualité de présence qui fait que celui qui est dans la détresse ne se sent plus tout seul et peut reprendre courage {…} la compassion est alors le sommet de l’amour ». 
Dire la compassion de Dieu, c’est donc dire sa présence, une présence encourageante, mais surtout son amour, ceux qui le craignent sont alors ceux qui croient, qui espèrent.
Car peut-être faut-il finalement ne retenir qu’une seule chose de ce texte ; ce chant est un cri d’amour. Oui entre une louange et une confession de foi, l’évangéliste Luc nous donne à entendre : le cri d’amour d’une femme qui a ressenti la compassion, l’amour de Dieu au plus profond de son être.
C’est ainsi que commence la proclamation du règne de Dieu, la délivrance du péché, la sortie de l’exil loin des regards de Dieu et de ses bénédictions : un cri d’amour, le Magnificat. Luther écrivait : « Magnificare, veut dire magnifier, exalter, glorifier. On l’utilise pour célébrer celui qui est capable de réaliser beaucoup de grandes et bonnes choses, qui sait et veut les réaliser. C’est ici le cas pour Dieu dans le Magnificat. »
Et Luther insistait : 
« Il ne suffit pas d’ailleurs de croire que Dieu est disposé à faire de grandes choses pour d’autres à l’exclusion de nous-mêmes. C’est l’erreur que commettent ceux qui, puissants, n’ont aucune crainte de Dieu ; et ceux qui, faible et opprimés, se laissent aller au découragement ». 
Dieu est prêt à faire de grande chose pour moi, pour toi, pour nous. 
 
Magnificat, ce qui arrive à Marie, fille d’Israël est pour nous – en ce temps de l’avent – programmatique de la rencontre avec le Dieu qui se fait, par elle, le Dieu avec nous. La Parole résonne pour nous : puissants ou faibles, dans la crainte ou le découragement. 
 
« Magnificat ! », 
Encore aujourd’hui et surtout demain le règne de Dieu est à vivre au cœur du monde.
Nous sommes aimés de Dieu sans condition – nous avons du prix à ses yeux. Sa compassion veut revêtir nos vies pour nous donner d’aller par sa liberté, de traverser les troubles du monde, d’être signe de paix face à la violence du monde, être signe d’amour face à toutes les peurs. Et nous le savons : il y en a, nos vies regorgent de violence
 
« Magnificat ! »
La louange ne nous déracine pas du monde. L’évangile ne nous invite pas à nous échapper du monde. Mais là, là où nous sommes nous pouvons commencer par dire notre reconnaissance à l’égard de la compassion de Dieu, un amour qui n’a pas de fin. Et dans la louange, dans l’adoration, alors nous pouvons reprendre confiance et lutter contre les discours de haine et les discours de peur. Toutes les paroles et toutes les actions qui essayent de rompre la confiance et le vivre ensemble, pour instiller la défiance et la violence. 
 
« Magnificat ! »
Marie témoigne du Christ qui nous a libéré du « prince de ce monde » pour que nous puissions aimer sans frontières ni peurs, sans limites ni angoisses. Nous libérant de toutes nos prétentions à exister par nous-mêmes, le Christ nous ouvre à l’horizon infini de l’amour de Dieu.
Au Christ seul soit la gloire. Amen.

vendredi 27 novembre 2015

Prédication du 22 novembre - Christ roi

Philippiens 2, 5 à 11 : 
5Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ :
6lui qui était vraiment divin,
il ne s'est pas prévalu
d'un rang d'égalité avec Dieu,
7mais il s'est vidé de lui-même
en se faisant vraiment esclave,
en devenant semblable aux humains ;
reconnu à son aspect comme humain,
8il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à la mort
— la mort sur la croix.
9C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé
et lui a accordé le nom
qui est au-dessus de tout nom,
10pour qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11et que toute langue reconnaisse
que Jésus-Christ est le Seigneur
à la gloire de Dieu, le Père.


Inattendu des lectures du jour, stupéfaction peut-être pour certains.
Avant Noël, avant l’avent, la crucifixion ; avec ce texte de la lettre aux Philippiens

Ça fait un peu « hors saison », je vous l’accorde. Le vendredi saint avant Noël, c’est un peu comme si je vous proposais d’aller à la plage un jour de froid comme aujourd’hui. Et pourtant, malgré Noël qui s’annonce d’ici un mois, malgré le froid, malgré l’avent qui déjà advient – la croix a aujourd’hui sa raison d’être. Ou du moins il y a une raison. Qui vaut ce qu’elle vaut mais qui explique, pourquoi le texte d’aujourd’hui est ce très beau passage de la lettre de Paul aux Philippiens. 

Cette raison se trouve dans le calendrier liturgique, c’était affiché là au début du culte, nous sommes au dimanche du Christ roi – fête qui marque la fin de l’année liturgique. Dimanche prochain, avec le 1er dimanche de l’avent nous entamerons une nouvelle année – même si plus personne ne le remarque.

Bref nous sommes au dimanche du Christ roi et cela explique que nous entendions le récit de la crucifixion.

Le Christ roi, c’est le Christ crucifié, ceci est clairement exprimée, ici, dans l’épître de Paul aux Philippiens – la souveraineté a été donné au Christ après la crucifixion, après la croix, dans un process d’abaissement, dans une logique d’un Dieu fait homme.

Le Christ roi, c’est le crucifié : C’était déjà dit dans l’évangile au moment de la crucifixion. Pour ne prendre que l’évangile selon Luc, par exemple, la mention de  la royauté y est répétée deux fois – en quelques versets. – la première – sur l’écriteau fixé au-dessus de Jésus sur la croix : « c’est le roi des juifs » et  – la seconde – dans la bouche d’un des bandits crucifié avec Jésus : « Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi ».

Le Christ roi, c’est le christ crucifié. Cela peut paraître contradictoire, mais cette contradiction fait, qu’en fait, le récit de la croix n’est pas si éloigné du récit de la crèche qu’on voudrait bien le croire.
Cette contradiction fait qu’on est en même tout proche de Noël.

Quand Syméon, le vieux, voit arriver Jésus au temple pour être présenté, il dit : « cet enfant est au monde pour être un signe de contradiction » (Traduction par Marc Boegner – in Jésus Christ, Conférences, p. 17). Signe de contradiction l’enfant qui naît dans une crèche va mourir sur la croix. Il n’a comme symbole de royauté qu’une couronne d’épine – déguisement tressé par ceux qui l’assassinent.

Le Christ roi, signe de contradiction. Aujourd’hui il ne nous reste plus que ça aujourd’hui comme sens ou signification à mettre derrière ce titre Christ roi. Pourtant, pendant des siècles la mention du Christ-roi renvoyait à beaucoup plus. Nous aurions pu  entendre aujourd’hui aussi, le récit de l’onction de David dans le second livre de Samuel – comment David est devenu roi, comment il a pris le pouvoir.

Il faut à la lecture de ce texte se souvenir que la royauté a été pendant longtemps le seul régime politique sur la terre – que l’on appelle ça un chef de tribu, un empereur, un prince régnant ou consort… ; la royauté – le dépôt du pouvoir dans les mains d’un seul homme a longtemps été le sort partagé de l’humanité.

Aussi gardant à l’esprit ce modèle politique, ce modèle universel à l’époque des évangiles, l’affirmation du christ roi vient donc se heurter à la question de la domination du monde – qui a le pouvoir aujourd’hui ?  et à qui peut-on comparer le roi , la figure du roi ?

Vraie question à laquelle on ne peut apporter que des réponses partielles. Certains diront sans doute Barach Obama, n° 1 de l’Etat n° 1 – il n’a néanmoins pas les mêmes prérogatives qu’un empereur Romain.
D’autres diront peut-être les médias, ceux qui font l’information qui dirigent le monde en ce qu’ils focalisent l’attention sur tel ou tel problème.
D’autres, plus souvent encore, diront que c’est le capital, c’est l’argent-roi et non plus une personne qui a le pouvoir aujourd’hui. Etc. ect.

Je ne trancherai pas dans ce débat, de ce qui fait figure de « roi » aujourd’hui, mais force est de constater que la personne, le lieu, ce qu’est le pouvoir n’est  plus aussi clairement définit que dans les premiers siècles. C’est flou et ce flou profite sans doute à celles et ceux qui sont en capacité de faire peur. Aux barbares ou aux fondamentalistes qu’ils soient des religieux islamistes ou des politiques nationalistes ; en fait, ce sont les mêmes. Les mêmes jouant avec les mêmes peurs. 

Aussi face à un tel délitement du pouvoir, un effacement du lieu de la domination du monde – parler de royauté n’est pas évident à comprendre. D’autant que par la force de contradiction, cette force de contradiction qui présente un roi dans un condamné à mort, et qui fait de la croix le lieu de gloire du Christ. Il ne s’agit, en parlant du Christ-roi, ni de ressusciter une conception monarchique abandonnée à coup de guillotine, ni même de prôner un pouvoir absolu qui dominerait en écrasant.

Mais il s’agit de dire également un pouvoir, une domination, du Christ sur le monde – qui s’inscrit dans la figure politique de la royauté de l’époque.

Oui dire que le Christ est roi – qu’est-ce que cela veut dire ? Et qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui, alors que règne la peur, alors que nous sommes une semaine après le massacre de Paris.

A partir du texte de Paul aux Philippiens, j’entends deux sens à la royauté du Christ. Reconnaître le Christ Roi c’est d’abord – premier aspect - se reconnaître comme participant d’une histoire dans laquelle le Christ a agit par le passé, et dans laquelle le Christ agira dans l’à-venir. Entre l’histoire et l’avenir c’est ce qu’écrit l’apôtre Paul : l’histoire du crucifié et l’espérance de l’élévation dans la gloire de Dieu.

Dire que le Christ est roi, c’est donc affirmer par la foi – que même si bien souvent nous ne l’entendons pas, nous ne le voyons pas, nous ne le sentons pas – il s’est fait entendre, voir et sentir dans l’histoire, et il se refera entendre, voir et sentir dans l’à-venir. Fidélité au passé, et espérance en ce qui vient. Nous sommes inscrits sur les paumes de Dieu diraient les prophètes du premier testament.

Le deuxième aspect, entre le présent et le futur de la royauté du Christ, ce qui se donne à entendre, c’est une nouvelle définition de la domination. Si le Christ est roi sur la croix, c’est donc que ce n’est pas celui qui écrase qui dirige. Ce n’est pas celui qui accuse – mais c’est bien plus celui qui est écrasé, et celui qui est accusé, celui qui s’est vidé de lui-même – il s’est dépouillé écrit Paul.

Domination par la faiblesse, pour reprendre le signe de contradiction  dite tout à l’heure. Domination par l’amour, s’il l’on fait de la croix un geste d’amour jusqu’au boutiste.

Christ roi, Seigneur de l’histoire – dominant dans la contradiction, par sa faiblesse ou son amour. C’est cette histoire qui commence par l’attente de Noël avec la période de l’avent qui s’ouvrira dimanche prochain. Cette histoire d’une espérance née au cœur du monde, de la part de Dieu.

Cette histoire n’est pas un angélisme. Elle ne dit pas un royaume de l’ordre d’un au-delà. Mais cet histoire se coltine notre monde, et elle se tisse en contradiction avec notre histoire. Dans la tradition de l’église cette descente du Christ s’est entendue jusqu’aux tréfonds du monde : il est descendu aux enfers disait le symbole des apôtres

Quand Paul dit que Christ est descendu d’auprès de Dieu jusqu’à la mort, c’est dire qu’il se coltine la violence du monde, toute la violence, y compris celle qui s’est déchainée la semaine passée à Paris, un véritable enfer.

Si dans les années 60 Sartre écrivait : « l’enfer c’est les autres » aujourd’hui il faut rectifier le constat et il nous faut réaliser que « l’enfer c’est nous-mêmes ».C’est la civilisation contemporaine –unique et mondialisée- qui a suscité ses monstres. Renvoyer les barbares et les terroristes à l’altérité en en disant qu’ils ne sont pas d’ici, qu’ils ne sont pas comme nous, c’est une vue de l’esprit. L’enfer c’est nous-mêmes, cette violence ne nous est pas étrangère. 

Je ne prendrai qu’un seul exemple :
Ainsi le 1er octobre sur la radio europe 1, on pouvait entendre : « Il y a au moins un domaine dans lequel l’économie française réalise des performances exceptionnelles : les ventes d'armes. En effet, jamais la France n'en a vendu autant que cette année. Si l’on bloque les compteurs aujourd'hui, l'Hexagone est même devenu le deuxième exportateur mondial d’armement, derrière les Etats-Unis mais devant la Russie. A deux mois de la fin de l’année, le total des ventes d’armes tricolores en 2015 avoisine déjà les 16 à 17 milliards d’euros. »

Nous bâtissons la richesse de notre pays sur la vente d’armes et nous voudrions rester indemne ? Oui, l’enfer c’est nous-mêmes

Le message du Christ-Roi de contradiction nous invite alors à réaliser qu’il est indispensable de briser la spirale de la violence. Les interventions militaires et les guerres, qui s’appuient sur la militarisation à outrance et entretiennent le lucratif commerce des armes, n’apporteront pas de solution durable et juste aux conflits en cours. C’est une évidence que tout le monde fait mine d’ignorer comme si nous n’avions d’autres solutions.

Or la violence ne fera qu’entraîner davantage de morts, de destructions, de réfugiés et engendreront de nouveaux actes de terrorisme.

Ce que murmure le Christ Roi c’est que notre monde a besoin de développer une culture de non-violence et de paix ; ce que les évangiles appellent très justement le Royaume. Ce n’est pas faire de l’angélisme, mais c’est dire le besoin d’un règne de justice : justice sociale et justice entre les peuples. Il est urgent de soutenir et de donner les moyens à tous celles et ceux qui sont porteurs de ces valeurs pour qu’ils puissent agir auprès de leurs concitoyens et de leurs dirigeants. C’est, sans angélisme, le meilleur moyen de travailler à la sécurité de tous et de prendre soin de nos vies et de toutes celles qui nous entourent.

Oui, dans la fidélité au Christ Roi, nous croyons que Dieu nous appelle à l’amour désarmé de nos frères et de nos soeurs en humanité. S’entend alors  l’appel à tous les croyants à se rejoindre sur ce chemin d’une non-violence active pour tracer les chemins du royaume. S’entendent alors les demandes à élaborer un monde où chacun pourra vivre dignement dans une paix assurée et vers un futur apaisé.

Alors pour cette année liturgique nouvelle qui s’ouvre aujourd’hui,
Que dans ses contradictions ce Christ-là vous aide à vivre-ensemble avec les nôtres. Amen.