mercredi 14 janvier 2015

Blasphème, vous avez dit blasphème ???

Méditation pour le conseil presbytéral de ce jour...

Dans la Bible, la notion du blasphème est quelque chose qui peut paraître secondaire tant elle n’apparait que très peu. Ainsi pour les évangiles, l’accusation de blasphème est principalement portée par les scribes contre Jésus. Cela advient quand Jésus pardonne les péchés d’un paralysé pour lui donner de pouvoir remarcher – en Marc chap. 2 v. 7 // en  Matthieu, chap. 9 v. 3 – par les juifs quand Jésus s’identifie au fils de Dieu – en Jean chap. 10 , v. 33 à 36 - et par le grand prêtre lors du procès de Jésus – en Marc chap. 14, v. 64 // Matthieu, chap. 26, v. 65. 

Cette rareté évangélique fait sens pour toute la Bible, dans le code du Lévitique le blasphème – en tant que tel - n’est mentionné qu’une seule fois en Lévitique 24, v. 16 : « Si un homme insulte son Dieu, il doit porter le poids de son péché ; ainsi celui qui blasphème le nom de l’Eternel sera mis à mort : toute la communauté le lapidera ; émigré ou indigène, il sera mis à mort pour avoir blasphémé le NOM ». Notons qu’il s’agit d’insulter « Dieu » en général, mais bien d’insulter « son Dieu » ; c’est dire que le blasphème n’a de sens que dans une relation de foi : celui qui ne croit pas en Dieu ne peut pas blasphémer contre un Dieu qu’il ne reconnait pas. 

Pour autant la rareté de la notion du blasphème ne doit pas nous faire ignorer l’importance du respect du nom de Dieu : c’est le troisième commandement : « tu ne prononceras pas à tort le nom de l’Éternel, ton Dieu, car l’Éternel n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort » (Ex. 20, v.7). Le respect du NOM, en tant que par le NOM on touche à quelque chose de Dieu, est quelque chose de très fort dans les Ecritures – et quelque chose qui sous-tend la notion de blasphème qui est à alors de l’ordre d’un prononcer à tort le nom de l’Éternel ton Dieu, là encore le possessif est important – ne peut être convaincu de blasphème que celui qui reconnait Dieu comme Dieu. 

Ainsi au titre de l’humour juif, André Chouraqui rappelle que les athées respectant nécessairement ce commandement verront inscrits à leur mérite le respect de cette parole, alors que les religieux qui parlent de Dieu parfois à tort et à travers devront répondre de chaque fois qu’ils auront évoqué le nom de Dieu en vain.  (Cf. A. Chouraqui, Moïse, Ed. Flammarion, p. 191s)

Alors pour revenir à l’évangile, dans la parole de Jésus, une seule fois le mot blasphème est prononcé quand il déclare que seul le blasphème ou péché contre l’Esprit ne sera pas pardonné : Marc 3, v. 29 // Mat. 12, v. 31 // Luc 12, v. 10. Je vous propose d’entendre cette Parole, dans l’évangile selon Marc, chap. 3, v. 20 à 30 : 

Jésus vient à la maison, et de nouveau la foule se rassemble, à tel point qu’ils ne pouvaient même pas prendre leur repas. A cette nouvelle, les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : « Il a perdu la tête. » Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient : « Il a Béelzéboul en lui » et : « C’est par le chef des démons qu’il chasse les démons. » Il les fit venir et il leur disait en paraboles : « Comment Satan peut-il expulser Satan ? Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut se maintenir. Si une famille est divisée contre elle-même, cette famille ne pourra pas tenir. Et si Satan s’est dressé contre lui-même et s’il est divisé, il ne peut pas tenir, c’en est fini de lui. Mais personne ne peut entrer dans la maison de l’homme fort et piller ses biens, s’il n’a d’abord ligoté l’homme fort ; alors il pillera sa maison. En vérité, je vous déclare que tout sera pardonné aux fils des hommes, les péchés et les blasphèmes aussi nombreux qu’ils en auront proféré. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il reste sans pardon à jamais : il est coupable de péché pour toujours. » Cela parce qu’ils disaient : « Il a un esprit impur. »
Satant, division le vocabulaire est très marqué. Le contexte évangélique est ici fortement polémique. D'une part, Jésus est en débat avec sa maison, sa famille, il dira très clairement au v. 34 et 35 : « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère » il n’est donc pas surprenant que ses proches, sa famille sentent le vent venir quand Jésus désigne les 12 pour l’accompagner – il se choisi une famille, ce qui ne plait pas à sa famille biologique « il a perdu la tête » disent-ils. D'autre part, Jésus est en oppositions avec les scribes de Jérusalem qui lui reprochent ses guérison dans sa lutte contre l’esprit impur qui est personnalisé sous les traits du Satan. 

Dans ces polémiques et ces oppositions Jésus pardonne tout sauf le blasphème contre l’Esprit – la meilleure compréhension de ce blasphème contre l’Esprit est de ne pas empêcher Dieu d’être Dieu. En effet, du coup c’est dire, pour Jésus à sa famille et aux scribes : « ne m’empêchez pas d’être ce pourquoi l’Esprit de Dieu me porte ». Ainsi, il vient de confirmer qu’il est le Fils de Dieu, et il s’est entouré des 12. Laisser Christ être le Christ, laisser Dieu être Dieu.

L’inverse c’est ce qui pour moi fait blasphème : ne pas laisser Dieu être Dieu. C’est-à-dire ne pas penser Dieu enfermé dans la compréhension que nous avons de lui-même ; penser tout connaître de Dieu, et donc prendre sa place. Du même  coup il faut comprendre que le délit de blasphème dont certains parlent aujourd’hui ne peut avoir de sens que pour les croyants – et il faut alors dire que cette notion de blasphème est inconciliable avec la République, elle ne peut pas l’être dans le sens même de ce qu’est le blasphème. 

Le seul blasphème que la République et que tout citoyen doit condamner avec force est celui qui ôte la vie. Ainsi je rejoins tout à fais le professeur André Gounelle quand il écrit :  Le blasphémateur n’est pas celui qui se moque et tourne en dérision la religion, c’est celui qui assassine pour elle. Le Dieu en qui je crois appelle au respect et au service de la vie. Celui qui condamne et tue est démoniaque, et le Dieu dont il se réclame s’appelle Satan.

Combattre le blasphème revient alors à rester vivant, à protéger la vie, à se mettre au service de la vie et laisser Dieu être Dieu ; c’est un défi pour chacun dans sa relation de foi. 

Aussi, je terminerai en citant Antoine Nouis qui commente le commandement « tu ne prononceras pas le nom de l’Eternel ton Dieu en vain » en écrivant : « Ne pas prononcer le nom de Dieu en vain revient à refuser d’enfermer Dieu dans une interprétation d’un passage et de toujours garder ouvert un espace pour laisser Dieu être Dieu. Bonhoeffer a écrit que la mission de l’Eglise était de laisser de l’espace à l’action de Dieu, c’est-à-dire de refuser de saturer notre vie spirituelle avec nos paroles, nos pensées et nos actions. C’est un appel à garder un espace vide, inoccupé, pour laisser à Dieu la possibilité de nous parler là où nous ne l’attendons pas »[1]

Laisser Dieu être Dieu, laisser Christ être Christ, donner de l’espace à Dieu et au Christ pour que résonne sa Parole et non la nôtre, et qu'elle puisse donner sens à nos vies ;  voilà ce qu’est, me semble-t-il l’acte de résistance au blasphème qui est attendu de la part de celui qui croit – et de lui seul, nécessairement - dans l’Ecriture.


[1] Antoine Nouis, L’aujourd’hui de la loi, éditions Olivetan, p. 51

mardi 13 janvier 2015

Prédication du dimanche 11 janvier

La prédication du dimanche 11 janvier est en ligne

A partir du texte de l'évangile selon Marc, chapitre 1, v. 7 à 11

"Elle a du plomb dans l'aile, la colombe !"

jeudi 8 janvier 2015

Dire la confiance pour vaincre la terreur...

Au lendemain du crime odieux contre Charlie Hebdo, la société se réveille en tremblant au risque des ténèbres et de la peur. A l'heure de l'émotion, je voudrai me souvenir que la seule chose que nous puissions opposer au règne de la haine et de l'intolérance que certains promeuvent par les armes, leurs prises de position, ou leurs livres, c'est la confiance.

Cette confiance, le pacte républicain la soude autour des trois mots de liberté, égalité et fraternité. Cette confiance personnellement, j'en trouve la source dans la bonne nouvelle du Christ Jésus et dans ses paroles d'amour et de liberté, dites au nom du Père. Cette confiance, je le crois, peut aussi se trouver dans une lecture du Coran ; dans ce qu'Abdennour Bidar, par exemple, appelait l'Islam sans soumission, il concluait son essai sur un existentialisme musulman par cette vision pleine de confiance : « Bientôt peut-être nous verrons les hommes réunis dans une condition humaine nouvelle où la croyance des uns et l'athéisme des autres auront été conduits au-delà de leur différence, puisque ceux qui croyaient au ciel l'auront trouvé sur la terre et ceux qui ne croyaient pas au ciel... l'auront tout de même trouvé sur la terre. Pour les uns comme pour les autres, l'infinie puissance d'agir ne sera plus un idéal -en quoi l'on espère ou l'on rejette-, mais la réalité même d'un état humain nouveau : celui de cet être qui est fontaine de vie toujours jaillissante au centre du jardin » (A. Bidar, l'Islam sans soumission, Albin Michel, 2008, p. 256).

Confiance en la fontaine de vie face aux ténèbres, à la peur et à la puissance de mort. Il faut tenir cette confiance car s'entendent déjà celles et ceux qui, par exemple, regrettent que la peine de mort n'existe plus en France pour châtier les coupables. Tenir la confiance et redire que dans notre tradition française, républicaine, démocratique et humaniste, la réponse à la violence n'est pas la violence mais la justice. Une justice qui affirme au plus haut la liberté de l'humain indéfectiblement liée avec le respect de la dignité humaine, dignité de toute vie.

Alors, la confiance en la vie ne m'empêche pas de trembler au lendemain du massacre, elle me pousse juste à croire qu'au-delà de l'absurdité de ces morts et de toute cette violence, une société dans laquelle chacun puisse croire, penser, s'exprimer et vivre selon son cœur et en toute liberté est possible, que l'on soit caricaturiste à Charlie Hebdo ou Musulman...