lundi 11 mai 2015

De l'autorité des Ecritures... reprise au goût du jour !

En septembre, je réagissais à un article de Nicole Deheuvels qui affirmait que le débat synodal sur la bénédiction et notamment quant aux bénédictions des couples de même sexe remettait en cause le Sola Scriptura. Elle écrivait "Aucun texte biblique ne venant soutenir positivement le projet de couple homosexuel, discréditer les textes qui en parlent de façon négative sous le prétexte d'une contextualisation revient à s'affranchir de la Bible comme référence. C'est ce pas là qu'une Église née de la Réforme et du Sola scriptura s’apprêterait à franchir". Je renvoyais alors cette collègue pasteur et soeur en Christ à l'exemple du ministère féminin que notre Église a accepté quand bien même : "aucun texte biblique" ne venait "soutenir positivement le projet"

Aujourd'hui je publie à nouveau un post sur le sujet, car quelques questions m'ont été posées par rapport à mon article précédent sur la bénédiction - ma réponse à Gilles Boucomont. J'entends donc clarifier ma compréhension du Sola Scriptura sans vouloir l'imposer comme universelle. Pour moi, proclamer l'autorité souveraine des Écritures en matière de foi revient à nous placer dans une obligation de répondre.

Une obligation de répondre : En tant que croyant, la foi nous place continuellement en tension entre ce que nous vivons et ce que nous croyons ; d'autres ont dit ça mieux que moi - c'est la tension entre le "déjà là" et le "pas encore", ou dite autrement c'est la tension entre "l'ordre de la création" et "l'ordre du salut". Cette tension est obligée puisque nous n'avons pas d'autres mondes que le nôtre pour vivre avec Dieu, la foi ne nous projette pas dans un ailleurs qui serait un "avec Dieu" pour ne plus être un "dans ce monde". Du coup, le Sola Scriptura revient à tenir la tension, à relever le défi d'être et "avec Dieu" et "dans ce monde", à ne pas renoncer à la richesse d'entendre et de dire la bonne nouvelle pour aujourd'hui. En tant que "dans ce monde" nous avons obligation à répondre de la Parole que nous entendons de Dieu, et comme étant avec Dieu il nous faut répondre aux questions de sens que peut poser le monde en renvoyant à cette Parole : voilà notre obligation de répondre.

Pour reprendre les catégories classiques (telles que les développe par ex. André Birmelé dans l'horizon de la grâce, cité dans un article précédent) : Oui l’Écriture est suffisante pour nourrir notre foi, oui l’Écriture est son propre interprète et personne d'autre que l’Éternel ne peut nous dicter son sens, oui l’Écriture est la seule norme de tout discours chrétien - mais si l’Écriture est nourriture, interprète et norme ce n'est pas pour nous faire vivre en dehors du monde. Au contraire, la révélation de la bonne nouvelle transmise par les Écriture vient nous permettre de tenir dans ce monde, avec Dieu.

Aujourd'hui le monde nous interroge : j'ai accompagné un couple de personnes de même sexe en m'en tenant au discours de l'église, en refusant de construire une cérémonie et en expliquant notre démarche. Non sans heurts intérieurs pour moi, dans mon ministère pastoral, comme au sein du conseil presbytéral lorsque nous en avons débattu. Il ne s'agissait plus alors de savoir si on était pour ou contre un sujet synodal mais bien de savoir si notre église accompagnait une telle et une telle dans leurs chemins de vies. Lors d'une rencontre avec elles, j'ai assumé ce "non" et je l'assume encore. ça a été ma réponse, car mon Église ne me donnait pas les moyens de répondre autrement. Cette rencontre avec ce couple a été la dernière, et quand il m'arrive de croiser l'une ou l'autre dans le quartier les regards sont fuyants. C'est ma seule expérience, je n'en suis pas fier ; pas plus que la présidente du conseil presbytéral d'alors. Compte tenu des statistiques (10.000 mariages sur 241.000 en 2014 soit 4, 15 %) on peut penser que si je continue à préparer 6 ou 7 bénédictions par ans et en supposant que chaque couple de même sexe, marié civilement, demande à notre Église une bénédiction de son union (hum...) je n'aurai pas d'autres demandes avant 15 ans ! 

Aujourd'hui le monde nous interroge ; certains préfèrent dire que la question est mal posée, que nous devons encore réfléchir, que le débat a été biaisé, d'aucuns réclament une démarche conciliaire, et j'en passe... autant de manières de na pas répondre. Affirmer l'autorité souveraine des Écritures nous confronte aujourd'hui à une obligation de répondre. Répondre non pas au nom d'une anthropologie, d'une identité, d'une morale, d'une option politique, mais au nom de l’Écriture et de la bonne nouvelle dont elle témoigne...

"L'essentiel et le fondement de l’Évangile, c'est qu'avant de le prendre comme exemple tu acceptes et reconnaisses le Christ comme un don et un cadeau qui t'est donné par Dieu et qui t'est donné en propre. Ainsi lorsque tu regardes à lui, ou que tu entends dire qu'il fait ou endure quelque chose, tu ne douteras pas que le Christ lui-même est tien par cette action et par cette souffrance, et tu placeras en cela autant de confiance que si c'était toi qui l'avait accompli, et même si tu étais le Christ en personne. Tel est, vois-tu, l’Évangile correctement reconnu, c'est la bonté débordante de Dieu qu'aucun prophète, aucun apôtre, aucun ange n'a jamais pu exprimé entièrement, qu'aucun cœur n'a jamais pu suffisamment admirer et comprendre ; c'est le grand feu de l'amour de Dieu pour nous, voilà ce qui rend le cœur et la conscience joyeux, ce qui les remplit d'assurance et les comble ; voilà ce que veut dire prêcher la foi chrétienne"
Martin Luther, 
Brève instruction sur ce qu'on doit chercher dans les évangiles et ce qu'il faut en attendre, 
in Oeuvres I, Paris, Gallimard, col. bib. de la Pléiade, p. 1039

jeudi 7 mai 2015

Bénir c'est dire du bien - réponse à Gilles Boucomont

Dans un post récent sur ton blog « au nom de Jésus », mon frère, tu t’amuses à tourner en ridicule l’étymologie du verbe bénir, en renvoyant à l’imaginaire, ou à la création de sens, la signification de « dire du bien ». Ce faisant, c’est toi qui tourne au ridicule et qui t’adonne à l’imaginaire : j’en veux pour preuve ce que dit le dictionnaire Trésor de la langue française – ouvrage que l'on ne peut soupçonner de prendre parti dans le débat d’église actuel : « Du lat. benedicere + datif « dire du bien de qqn » (Plaute, dans TLL s.v., 1867, 30) d'où « louer » (Apulée, ibid., 41) d'où en lat. chrét. « louer Dieu, lui rendre gloire » (Itala, ibid., 43), puis « répandre ses bienfaits sur qqn (en parlant de Dieu) » » Bénir c’est donc d’abord, depuis Plaute, dire du bien de quelqu’un et ce n’est que partant de là que les théologiens ont fait des création de sens : qui est menteur ?  

Je te renvoie cette accusation de mensonge que tu formules, mon frère, d’autant que tu m’opposeras sans doute, dans la droite ligne de ton article, le livre de la Genèse du moins la lecture qu tu en fais. Seulement cette lecture est somme toute très partielle et très dangereuse à vouloir dire « le bien de Dieu ». 

En effet, à lire un peu plus que le chapitre 1 de la genèse, le seul qui dans ce texte biblique, pense que l’homme et la femme soient appelés à dire le bien du point de vue de Dieu, c’est au chap. 3, le serpent : « Non, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serrez comme des dieux possédant la connaissance du bien (le fameux Tov – de la création)  et du mal ».  Vouloir dire le bien de Dieu ou vouloir le connaître, depuis la fausse parole du serpent de la Genèse, même avec une Bible à la main, c’est la définition du péché. 

Le texte biblique nous prévient : nous n’avons pas à nous prendre pour Dieu ! Même quand nous bénissons en son nom, nous ne sommes pas Lui ! Quand bien même nous soyons créé à l'image de Dieu - la bénédiction est de l'ordre d'une parole pas d'une image... Et même en faisant un peu de théologie à partir de ce chapitre 1 de la Genèse, l’argument de l’imago dei ne tient pas  – l’image du Dieu vivant n’est pas plus comme tu l'écris dans l’humain différencié sexuellement qu'en Christ ; là où il n’y a plus l’homme et la femme et où prévaut le statut d’enfants de Dieu. 

Alors finalement, la conclusion de ton article est bien gentille – dans la droite ligne de la théologie morale catholique avec de belles images et peu de parole - mais pour ma part, je ne pense pas que les unions bénies par l’Église viennent "d’avant l’humain", et iront "après elles" ; je ne pense pas "qu’elles tiennent à la beauté et à la bonté de Dieu" ce n'est écrit nul part dans le texte biblique et... je n’y crois pas.

Au nom des violences faites aux femmes, 
au nom des enfants maltraités, 
au nom des couples où l'un(e) est sous la coupe de l'autre, 
au nom des familles où la parole est impossible – car nous bénissons tout cela et bien plus sans pouvoir le savoir : la beauté et la bonté de Dieu ne nous appartiennent pas ! 

Oui, une fois de plus : mêmes mariés, et même bénis, nous restons tous "de pauvres pécheurs, enclins au mal et incapables par nous-mêmes de faire le bien" disait... un affreux libéral ? Alors je ne pense pas bénir légèrement - ce jugement sentimental est facile mais il n'est fondé sur rien - j'ose croire que la bénédiction nous invite à relever le combat de l’amour et que dans ce combat Dieu est avec nous – que nous soyons hétérosexuels ou homosexuels. Plutôt qu'une connaissance fantasmée du "bien de Dieu", c’est là pour moi la bonne nouvelle de l’évangile et la seule source de la bénédiction : pécheurs nous sommes aimés de Dieu et nous sommes invités à dire du bien - du simple bien - en son nom.