Beaucoup de détracteurs de la
démarche synodale sur la bénédiction appellent à penser la bénédiction dans le
cadre de la théologie de l’alliance, comme si ce cadre s’imposait de lui-même !
Notons que l’encyclopédie du protestantisme dans son article sur l’alliance souligne
que « Le plus grand théologien réformé de notre siècle, Karl Barth, a pris
ses distances par rapport à l’ancienne théologie de l’alliance »[1]. Sauf
à faire de Barth un affreux libéral, on peut donc mettre en question
légitimement la théologie de l’alliance et rester un théologien réformé…
Ce d’autant que c’est
bibliquement que l’on peut mettre en question cette importance de la théologie
l’alliance. Ainsi l’exégète Claus Westermann dans sa théologie de l’ancien
testament écrit : « Dans une prétendue théologie de l’alliance,
on a essayé de donner à ce concept un sens déterminant tout l’Ancien Testament.
Ici s’exprime un parti pris qui ne rend pas justice aux éléments constitutifs
du Livre »[2] ; et l’exégète
démontre alors, entre autres, 1- que l’événement du Sinaï, souvent considéré
comme la conclusion de l’alliance avec les 10 commandements, n’est qualifié d’alliance
qu’a-postériori dans une rédaction deutéronomiste et « on ne saurait
pourtant s’y référer en faveur de la conclusion d’une alliance au Sinaï »[3]. Mais
surtout, l’exégète souligne que le terme hébraïque berit est loin d’être univoque et sert à qualifier
l’alliance, la loi, la promesse ou l’engagement et qu’il ne peut être réduit à
l’alliance seule.
Ces réserves bibliques importantes, étant posées sur l’importance même
du sujet – de quoi parle-t-on ? Dans le protestantisme classique un des
textes clés pour penser la théologie de l’alliance est le Consensus Helvétique
de 1675 (C.H.). Texte qui suit le parti-pris dénoncé par l’exégète, dans lequel
l’alliance apparaît comme fondamentale pour penser l’histoire de la relation
entre Dieu et l’humanité.
Car, il s’agit bien de décrire l’histoire de la relation entre Dieu et
les hommes en deux temps : l’alliance des œuvres et l’alliance de la
grâce. Le C.H. tend à définir le cadre la pensée orthodoxe pour éviter toute
division dans l’Eglise de Dieu (Canon 26) et condamne ainsi toute tentative de
vouloir rajouter une alliance naturelle (Canon 25) ou tout enseignement
contraire aux confessions de foi de la réforme et aux Ecritures (Canon 26). Dans
ce qu’on peut qualifier d’opération d’orthodoxie, le C.H. défini deux alliances,
reprenant la division Paulinienne autour d’Adam et du nouvel Adam. Le Canon 22 pose
très clairement ce cadre :
« Il y
a deux manières par lesquelles Dieu, qui est un juste juge, a promis de
justifier l’homme : l’une dans la loi, l’autre dans l’Évangile. Dans la loi, il
promet de déclarer l’homme juste en conséquence de ses œuvres ou de ses propres
actions. Dans l’Évangile, il s’engage à le traiter comme tel en considération
de l’obéissance ou de la justice d’un autre, savoir Jésus-Christ, notre
répondant, dont l’obéissance est imputée par grâce à celui qui croit. Le
premier de ces moyens sert à justifier l’homme innocent, le second, à justifier
l’homme pécheur et corrompu. Conformément à ces deux moyens de justification, l’Écriture
établit deux Alliances, l’une des œuvres, et l’autre de la grâce. Celle des
œuvres a été traitée avec le premier Adam, et, en lui, avec chacun de ses
descendants. Le péché ayant rendu cette première alliance vaine et inutile.
Dieu en a traité avec les seuls élus, dans le second Adam, une seconde, qui est
éternelle et qui ne sera point sujette à l’abrogation comme la première. »
Les deux alliances sont donc
liées à la justification – la première Alliance des Œuvres liée à la loi et à
la justification par les œuvres – la seconde Alliance de la Grâce liée à l’évangile et à
la justification par la foi. La première ayant été rendue « vaine et
inutile » par le péché[4] la
foi nous invite à vivre sous l’alliance de la grâce. Une alliance dans laquelle
la loi de la foi prévaut pour tous ceux qui sont sauvés par élection éternelle[5].
Clarifions pour en rester sur le
thème de l’alliance, que pour le C.H., « première » et « seconde »
ne sont pas des qualificatifs chronologiques – les deux alliances ne sont pas
deux moments ou deux temps. La justification par la grâce est disponible dès l’ancien
testament – et il faut distinguer dans cette alliance de la grâce, deux
économies – c’est ce que précise le canon 24 du C.H. :
« [l’Alliance
de la grâce]… a eu, suivant la diversité des temps, des économies différentes.
Car, quand l’apôtre Saint Paul désigne la dernière économie par ces mots : La
dispensation de la plénitude des temps, il nous fait assez clairement entendre
qu’il y a eu une autre économie et une autre dispensation dans les siècles qui
ont précédé le temps que Dieu avait marqué pour la prédication de l’Évangile. Mais
dans toutes ces deux économies de l’Alliance de grâce, les élus n’ont été
sauvés que par l’Ange de la face, par cet agneau immolé dès la fondation du
monde, par Jésus-Christ, par la connaissance de ce serviteur juste et par la
foi en lui, aussi bien qu’en son Père et en son Esprit. Car Jésus-Christ est
toujours le même, hier, aujourd’hui et dans tous les siècles, et nous
croyons que c’est par la grâce du Seigneur Jésus-Christ que nous serons sauvés
de même qu’eux, savoir les Pères. Les mêmes fondements demeurent inébranlables
dans tous les deux Testaments. »
En s’appuyant sur ce que nous pouvons
appeler aujourd’hui "la préexistence du Christ" sur "le Jésus de l’histoire", l’alliance
de la grâce peut s’inaugurer dans l’histoire au même moment que l’alliance des œuvres.
Nous trouvons là ce que nos consciences modernes ont appris à appeler un
anachronisme ; anachronisme similaire à celui qui permet à l’apôtre Paul
de faire d’Abraham un croyant justifié par la foi dans le chapitre 4 de sa
lettre aux Romains. Cet anachronisme étant porteur du sens d’éternité dans la
relation entre Dieu et son peuple.
Voilà ce qu’il en est de la
théologie de l’alliance dans le texte de référence pour la foi réformée qu’est
le Consensus Helvétique. Faut-il le souligner, ce texte ne parle pas de bénédiction, ni de
bénédiction communautaire ni bénédiction de personne(s). Le lien entre la
bénédiction et la théologie de l’alliance n’est pas du tout évident. Aussi, il me semble que l’on peut
à juste se titre se demander pourquoi et à quelle fin ce cadre s’imposerait pour
penser la bénédiction en église aujourd’hui ? Ou inversement, en quoi
réfléchir à la bénédiction met-il en question cette théologie de l’alliance ?
Le rapport n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît...
[1] Mario Megge, « alliance »,
encyclopédie du protestantisme, CERF / LABOR & FIDES, 1995, p. 21
[2] C. Westermann, Théologie
de l’ancien testament, LABOR & FIDES, 2002, p. 49
[3] Idem, p. 50
[4] Détaillé au canon 10 :
« [Adam] a perdu, pour ses descendants ainsi que pour lui-même, les biens
qui étaient promis dans l’alliance des œuvres »
[5] le C.H. développant classiquement une théologie prédestinationiste
au canon 13 : « Comme Jésus-Christ a été élu de toute éternité pour
être le chef, le prince et l’héritier, c’est-à-dire le Seigneur de tous ceux
qui sont sauvés, dans le temps, par sa grâce, il a aussi été fait, dans le
temps, médiateur de la nouvelle Alliance, uniquement en faveur de ceux qui lui
ont été donnés par l’élection éternelle pour être son peuple propre et
particulier, sa postérité et son héritage. Car, c’est pour les élus seuls qu’il
a, suivant le décret de Dieu le Père et de sa propre volonté, souffert d’une
mort cruelle. Il n’a ramené qu’eux seuls dans le sein de la grâce, il n’a
réconcilié qu’eux seuls avec Dieu le Père, justement irrité, et n’a délivré
aucune autre personne de la malédiction de la loi. Notre Sauveur Jésus-Christ
sauve son peuple en le délivrant de ses péchés ; il a donné son âme pour la
rédemption de plusieurs, pour ses brebis qui prêtent l’oreille à sa voix. Ce
n’est que pour elles qu’il veut bien prier comme sacrificateur appelé de Dieu ;
il ne prie point pour le monde. Par conséquent, Jésus-Christ étant mort, les
élus seuls, qui deviennent dans le temps de nouvelle créatures, ces élus, pour
lesquels il s’était offert comme une victime d’expiation, sont censés morts
avec lui et justifiés de tout péché. Ainsi, la volonté de Jésus-Christ mourant
conspire parfaitement avec le décret du Père et avec l’opération du
Saint-Esprit. »