Prédication du 14 septembre - Evangile selon Matthieu, chap. 18, v. 21 à 35

Lecture de l'évangile selon Matthieu, chap. 18, v. 21 à 35

Alors Pierre s’approcha et dit à Jésus : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
« Ainsi en va-t-il du Royaume des cieux comme d’un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Pour commencer, on lui en amena un qui devait dix mille talents. Comme il n’avait pas de quoi rembourser, le maître donna l’ordre de le vendre ainsi que sa femme, ses enfants et tout ce qu’il avait, en remboursement de sa dette. Se jetant alors à ses pieds, le serviteur, prosterné, lui disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” Pris de pitié, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette. En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent pièces d’argent ; il le prit à la gorge et le serrait à l’étrangler, en lui disant : “Rembourse ce que tu dois.” Son compagnon se jeta donc à ses pieds et il le suppliait en disant : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.” Mais l’autre refusa ; bien plus, il s’en alla le faire jeter en prison, en attendant qu’il eût remboursé ce qu’il devait. Voyant ce qui venait de se passer, ses compagnons furent profondément attristés et ils allèrent informer leur maître de tout ce qui était arrivé. Alors, le faisant venir, son maître lui dit : “Mauvais serviteur, je t’avais remis toute cette dette, parce que tu m’en avais supplié. Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” Et, dans sa colère, son maître le livra aux tortionnaires, en attendant qu’il eût remboursé tout ce qu’il lui devait. C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »


PRÉDICATION : 

Peut-être certains ont-ils vu passer cette fin de semaine l'information selon laquelle les actes antisémites, en France, avaient considérablement augmenté cette année. Pour le Conseil représentatif des institution juives de France, dans les 7 premiers mois de cette année les actes antisémites on pratiquement doublé par rapport à l'an passé. Entre l'affaire Dieudonné en début d'année et le martyr du peuple palestinien ces derniers mois, les raisons sont nombreuses à cette augmentation détestable. Et du coup, le passage de l'évangile entendu m'a renvoyé à ce que disent certains philosophes juifs depuis la shoah, depuis le sommet de l'antisémitisme du Xxe siècle, meurtre de masse industrialisé.

Ces philosophes disent qu'il y a dans le pardon quelque chose d'impossible. Oui, cette idée a été développée notamment par de nombreux philosophes juifs ou d'origine juive, notamment depuis la deuxième guerre mondiale, depuis la shoah, et je crois que ce que nous dit Jésus dans l'évangile n'est pas loin de ça. Il y a dans le pardon quelque chose d'impossible.

Ainsi dans un petit livre nommé l'imprescriptible, Jankelevitch écrivait : « A proprement parlé, le grandiose massacre, la shoah, solution finale, n'est pas un crime à l'échelle humaine ; pas plus que les grandeurs astronomiques et les années-lumières. Aussi les réactions qu'il éveille sont elles d'abord le désespoir et un sentiment d'impuissance devant l'irréparable » fin de citation

Pour qu'il y ait pardon il faut de l'irréparable – vraiment ; c'est à dire qu'il faut partir du constat que pour pardonner il faut qu'il y ait de l'impardonnable. Le vrai pardon ce n'est pas celui que l'on vous demande quand on vous marche sur le pied, quand on vous bouscule ou quand on vous blesse par inattention ou gaucherie. Ça peut arriver à tout le monde, pardonner en ce sens revient alors à accepter des excuses, à oublier ce qui s'est passé, à passer outre, mais tout ça ce n'est pas exercer le pardon.

Pardonner c'est quelque chose de beaucoup plus fort – c'est quelque chose qui se dit, qui se vit que face à de l'impardonnable, à de l'irréparable. C'est en cela que le pardon à quelque chose d'impossible. Ainsi pour rester sur cet exemple de la shoah un autre penseur écrivait que lui n'avait pas grand chose à pardonner car il était revenu des camps de la mort ; ceux qui avait à pardonner c'était ceux que l'on avait assassiné et du coup ils ne le pouvaient plus.

Il y a dans le pardon quelque chose d'impossible.
C'est je crois ce que veux nous faire toucher du doigt le Christ Jésus dans l'évangile selon Matthieu, dans le passage que nous avons entendu ce matin.

D'abord dans la question de Pierre : combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? Et pierre propose le chiffre 7. 7 fois. Si nous nous arrêtons à la symbolique des chiffres 7 est le chiffre de la perfection, de la plénitude. Mais cette perfection cette plénitude ne suffit pas au Christ Jésus. Il veut que nous pardonnions 77 fois 7 fois – c'est à dire non pas 539 fois comme le ferait une opération mathématique, mais bien la perfection et la plénitude multipliée par la perfection et la plénitude redoublée – quelque chose d'impossible.

C'est cet impossible du pardon que vient relayer la parabole que nous avons entendu – cette parabole que la traduction Œcuménique de la Bible appelle « le débiteur impitoyable ». Ce qui est impossible ici c'est la dette elle-même. Nous ne le réalisons pas quand on lit le texte biblique, mais le serviteur est endetté vis à vis du maître d'une dette impossible. Il doit 10,000 talents – c'est impossible. Si nous faisons un exercice de conversion : 10,000 talents reviennent à 60 millions de francs or, on est donc sur une dette qui se situe entre 250 et 300 millions d'euros.

C'est énorme pour nous aujourd'hui, mais c'était déjà énorme à l'époque. A titre de comparaison, pour vous donner une échelle de grandeur au premier siècle l'ensemble de la Judée versait comme impôt à l'empire romain 600 talents par an. Ça veut dire qu'un serviteur devait à son maître plus de 16 fois ce que devait un pays tout entier à l'empereur en une année. Comment imaginer un tel prêt ? Quel maître aurait été prêt à confier une somme pareille à un serviteur ? C'est folie, c'est déraisonnable, c'est impossible.

En écoutant Jésus, tous ses auditeurs ont sans doute réalisé tout de suite que cette histoire était impossible. Oui, une histoire impossible. Et pourtant Jésus poursuit son histoire sans que personne ne interrompe. Et la petite histoire de Jésus va passer dans le registre du crédible, du conventionnel, du normal.

Quand le serviteur croise son compagnon, celui-ci ne lui doit que 100 pièces d'argent, ça c'est plus plausible – nous sommes alors sur des deniers et non plus des talents ; la dette revient au salaire d'un trimestre – c'est quelque chose qui peut s'imaginer. Pour comparaison la dette du compagnon vis à vis du serviteur revient à 0,006 % de ce que devait le serviteur à son maitre. C'est une grosse dette, mais c'est possible.
Or ce que nous dit Jésus par cette parabole c'est que le pardon fonctionne justement quand cela semble impossible, inimaginable, incroyable, mais pas quand il paraît crédible, imaginable et possible, le pardon ne fonctionne pas quand toutes les conditions sont réunies. Le pardon fonctionne en fait, quand il est reçu du maître. Celui là seul pour qui il n'y a pas d'impossible, l’Éternel Dieu.

Le pardon ne peut fonctionner que par le don de Dieu – autrement il nous est impossible. Oui, à compter sur notre justice, sur nos mérites, sur notre bonne volonté, nous n'arrivons pas à pardonner ce qui nécessite un vrai pardon. Une fois encore je ne parle pas de quelqu'un qui vous marche sur le pied dans un bus, ou de quelqu'un qui bouscule votre caddie au supermarché. Le vrai pardon, le pardon qui engage la vie et la mort, le pardon qui permet la vie n'est possible que si il est donné par Dieu et si nous ne faisons que le laisser passer à travers nous.

C'est un peu comme si nous lisions le notre Père dans le bon sens : vous connaissez par cœur la formule « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » Le « aussi » est primordial – il montre bien qu'il faut que le pardon de Dieu intervienne en premier pour initier le mouvement, et que nous pardonnons aussi – dans un deuxième temps - comme l’Éternel nous pardonne.

Etre les passeurs du seul pardon possible, celui qui s'origine en Dieu. Être dans un lâcher prise qui n’exerce ni comptabilité des fautes de l'autre, ni vengeance du mal subit. Permettre l’œuvre du père.

Ne croyez pas que ce discours soit de la philosophie. Ce n'est pas parce que j'ai cité les philosophes juifs en ouvrant mon propos qu'il s'agit là d'une dissertation bien pensante. Le pardon n'est pas une catégorie de la pensée, il est quelque chose à vivre. Il est quelque chose à vivre dans nos relations, les uns avec les autres, dans l'église et au delà dans toutes nos existences. Comment une communauté humaine pourrait elle vivre sans pardon ? Sauf à barrer le passage au Dieu de l'évangile entre nous, sauf à faire taire sa Parole de vie en s'instaurant juge autoproclamés les uns et des autres, c'est impossible.

Car le contraire du pardon ce n'est ni la vengeance, ni la querelle, ni l'animosité ; le contraire du pardon c'est le jugement, le jugement qui enferme. Nous avons toujours cette tentation. Prendre la place de celui qui juge, qui enferme, qui verrouille l'autre derrière les grilles de ce que nous connaissons de lui, dans la prison de tous les possibles que nous avons déjà vu, et déjà expérimenté. Un jugement qui nous enferme aussi, nous qui jugeons, dans une place qui n'est pas la nôtre, dans une place souvent faite de peur et qui nous empêche d'aimer. Une place faite de désespoir et d'impuissance.

Ce jugement, opposé du pardon, fait barrage à Dieu, ce jugement nous prive de son pardon pour ne plus savoir nous pardonner les uns les autres à sa suite. L'évangile nous invite à renoncer au calcul, aux jugements, aux raisonnements qui nous paraissent sages et plein des possibilités de la vie, pour nous ouvrir à la folie de l'impossible de Dieu ; impossible de Dieu dont le Christ à témoigné par toute sa vie, au-delà de toute sa vie.

Une fois encore, ce n'est pas de la philosophie, c'est le mouvement même de l'évangile, mouvement qui fonde le vivre ensemble de la communauté de foi. Pardonner 77 fois 7 fois ; ne pas avoir à rembourser une dette de 240 millions d'Euros ; ce que nous dit Jésus dans ce passage nous invite à laisser passer Dieu avant nos jugements, nos calculs et nos intérêts pour nous inspirer de son mouvement, de son souffle et de son dynamisme pour savoir en vivre, ensemble ; les uns avec les autres, les uns pour les autres

Nous sommes appelés à être les passeurs du seul pardon possible, celui qui s'origine en Dieu. Être dans un lâcher prise qui n’exerce ni comptabilité des fautes de l'autre, ni vengeance du mal subit. Permettre, à travers nous, l’œuvre du père. Que cela nous soit donné, pour la seule gloire du Christ. Amen

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