Dimanche de la réformation - prédication sur l'évangile selon Matthieu, chap. 22, v. 34 à 40

Avant de lire les Ecritures, nous prions Dieu avec les mots de Martin Luther :

Je ne veux, Seigneur, ni or ni argent,
Donne-moi une foi ferme et inébranlable.
Je ne cherche Seigneur ni plaisirs, ni joies de ce monde,
Console-moi et affermis-moi par ta sainte Parole.
Je ne demande pas honneurs et considération du monde
qui ne peuvent en rien me rapprocher de Toi;
Donne-moi ton Saint-Esprit,
pour qu'il éclaire mon cœur, me fortifie
et me console dans mon angoisse et ma misère.

Garde-moi jusqu'à ma mort dans la vraie foi
et la ferme confiance en ta grâce. Amen


Lecture de l'évangile selon Matthieu, chap. 22, v. 34 à 40


34Les pharisiens apprirent qu'il avait réduit au silence les sadducéens. Ils se rassemblèrent 35et l'un d'eux, un spécialiste de la loi, lui posa cette question pour le mettre à l'épreuve : 36Maître, quel est le grand commandement de la loi ? 37Il lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence. 38C'est là le grand commandement, le premier. 39Un second cependant lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 40De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes.

Au menu du déjeuner de ce dimanche de la réformation : poulet et salsifis.

Le poulet, je sais pas vous, mais moi j'aime. En fait ce que j'aime c'est pas le poulet, mais j'aime le plaisir que me procure de manger le poulet ; j'aime le poulet non pas pour lui-même, car sinon je le laisserai vivant ce poulet, on ne tue pas quelque chose qu'on aime ; mais j'aime le poulet pour moi ; pour le manger, pour la satisfaction de mon besoin, de mon désir.

Par contre les salsifis, je n'aime pas. Mais vraiment je n'aime pas ça du tout ! Mais alors pas du tout ! Vous pouvez me forcer à en manger, oui peut-être ; mais jamais vous ne pourrez m'obligez à aimer les salsifis. Et vous pourrez toujours me commander d'aimer les salsifis, comme moi-même ou pas... je n'aime pas ça !

Poulet et salsifis, je passe par l'image de ce menu de déjeuner pour vous faire saisir toute la difficulté de parler d'amour ; difficulté redoublée à parler d'un commandement d'amour.

Difficulté d'entendre le texte de l'évangile aujourd'hui ; un texte qui, pour notre dimanche de la réformation nous pose quand même, je le crois, la question de l'essentiel de notre fidélité : qu'est-ce qui fait le sens de notre foi chrétienne dans son expression protestante.

Ce sont ces trois points que auxquels je voudrai m'attacher aujourd'hui : la difficulté de parler d'un commandement d'amour, le mouvement du texte qui permet à Jésus de dire quels sont les plus grands commandements et enfin la question de l'essentiel de la réforme pour aujourd'hui.

1- Poulet et salsifis : Difficulté de parler d'un commandement d'amour d'abord : aimer le poulet pour le dévorer n'est pas aimer, c'est s'aimer soi-même éprouvant le plaisir de manger le poulet. Et personne ne me commandera d'aimer les salsifis !

Vous comprenez que l'image de la table n'est qu'une parabole pour dire la difficulté à parler d'amour. Oui, aujourd'hui notre monde après le romantisme qui a réduit l'amour à un sentiment ou un élan du cœur il est difficile d'entendre parler d'un commandement d'amour. Aujourd'hui, alors que notre société nous invite à nous centrer de plus en plus sur l'individuel, entendre que l'amour n'est pas seulement la satisfaction d'un besoin c'est aussi compliqué.

Il y a dans l'amour que veut pour nous la Parole, la loi de Moïse comme l'évangile, il y a dans l'amour tel qu'il transparaît dans l'évangile une confrontation avec une réelle difficulté à entendre l'autre, à le respecter, à l'aimer pour ce qu'il est et non pour ce que nous voudrions qu'il soit. Et cette complication à dire et vivre l'amour est redoublée quand l'amour de l'autre pour l'autre devient commandement : l'amour ne pouvant jamais être une figure imposée.

Ainsi, je crois qu'il convient d'entendre ce que précisait le pasteur Nouis, ainsi : « La Bible ne nous demande pas d'aimer tous les hommes, mais notre prochain. Elle ne s'intéresse pas à l'amour universel, théorique, ou poétique, mais à l'amour concret, engagé, pratique. La vertu qui accompagne l'amour est le courage car il faut du courage pour permettre au prochain de s'épanouir. Et le contraire de l'amour n'est pas la haine, mais la paresse ou l'indifférence »1.

L'amour est courage, souci de l'autre, accompagnement, engagement.
C'est vrai dans la relation à Dieu ; Dieu qui nous veut comme ses enfants ; c'est à dire comme des êtres en chemin d'autonomie qui mènent une existence propre quand bien même nos vies viennent de lui.

C'est vrai pour notre relation au prochain : ainsi pour poursuivre sur le désir que j'évoquais, l'amour n'est pas satisfaction de mon propre désir dans ma relation à l'autre ; mais l'amour c'est bien une ouverture dans ma relation à l'autre pour lui donner l'occasion de satisfaire son propre désir. Je n'aime pas le poulet quand je le mange, mais bien quand je lui donne à vivre. Il s'agit d'aimer sans dévorer – c'est vrai pour le poulet ; c'est vrai pour nos relations les uns aux autres aussi. « Aimer sans dévorer » c'est d'ailleur le titre d'un livre de la théologienne Lytta Basset qui trace au concret les chemins d'un amour fidèle à soi-même comme à l'autre.

Du coup, entendre l'amour comme un commandement, comme une parole vient non pas dire une obligation à aimer, mais vient dire une invitation à toujours maintenir une distance. Pour être disponible pour aimer dans un engagement concret notre prochain, il faut ne pas se perdre soi-même, ne pas s'anéantir dans un élan de passion, s'autodétruire dans du bon sentiment. Le commandement dit bien « aime ton prochain comme toi-même » ; reste toi-même pour aimer l'autre tel qu'il est...

2- Le double commandement que formule Jésus est, vous l'avez entendu la réponse à une question : « Quel est le plus grand commandement ? ».

« Quel est le plus grand commandement ? ». Cette question que posent, pour l'évangéliste Matthieu, les pharisiens dans un contexte polémique, cette question est celle de l'essentiel de la loi – qu'est-ce qui fait le cœur de la fidélité juive aux commandements de Moïse ? Cette question présuppose que l'on puisse distinguer des grands commandements de petits commandements, et tout un système hiérarchique entre les textes, sans pour autant renoncer à en appliquer certains.

Dire qu'il y a de grands commandements ne revient pas, dans le judaïsme, à dire qu'il y a des commandements qui pourraient être estimés petits, et desquels on pourrait se passer. C'est un peu la question de la fondation : quel commandement est fondateur des autres ? Pour comprendre la pertinence de cette question il faut se souvenir que la Loi juive, selon la tradition synagogale comprenait 613 commandements positifs, 365 interdictions, et 248 prescriptions2 ; le volume de la loi est considérable, il faut donc bien y trouver un centre à partir duquel organiser sa fidélité.

Cette question de grandeur et de petitesse, cette question de hiérarchie, en effet, peut avoir dans le judaïsme de l'époque de Jésus deux échos, selon les rabbins : - d'une part, un premier écho, pour certains rabbin, il s'agit d'une grandeur d'un point de vue humain : grandeur ou importance dans la difficulté à l'appliquer. Un commandement est grand en ce qu'il demande beaucoup d'effort, et à l'inverse un commandement est petit si il est léger à porter. Plus un commandement est difficile a respecter et plus il est grand.

Le deuxième écho, selon d'autres maîtres de la Loi, est celui du jugement même de Dieu ; un commandement est grand au sens où il procure une récompense importante au dernier jour. Au jour du jugement Dieu évaluera le respect de la loi de chacun et dans cette évaluation certains critères seront plus importants que d'autres3.

Donc pour certains rabbins se situant d'un point de vue humain – un grand commandement demande des efforts – et pour d'autres rabbins, du point de vue de Dieu, un grand commandement apporte une grande reconnaissance. L'avantage de Jésus va être dans sa double réponse de pointer et une fidélité tournée vers Dieu : « Tu aimeras l’Éternel ton Dieu, de tout cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence »,et une fidélité à la loi tournée vers les hommes : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Double mouvement vers le divin et vers l'humanité – ce double commandement d'amour reprend la Loi juive – Jésus n'invente rien. Ainsi on peut se souvenir que Rabbi Aquiba, au IIème siècle après Jésus-Christ écrira « Toutes les manifestations de l'amour se résument dans ce précepte du Lévitique : tu aimeras ton prochain comme toi-même, qui lui-même ne représente que l'aboutissement du Deutéronome : Tu aimeras l’Éternel ton Dieu, de tout cœur, de toute ton âme, de tout ton pouvoir »

Cette double fidélité tisse la spécificité du croyant juif comme chrétien : l'amour de l'autre sans amour de Dieu est une simple éthique de la fraternité ou une exhortation morale ; et l'amour de Dieu sans l'amour du frère et de la sœur ne fait aucun sens.
Cette double fidélité n'enlève en rien la difficulté que j'évoquais pour commencer – vis à vis de Dieu comme du prochain, c'est un chemin de courage qui s'ouvre avec cette parole d'amour à laquelle est suspendue toute la loi et les prophètes.

3- L'essentiel de la loi et des prophètes est dans cette double parole – ce double commandement - d'amour. J'en arrive donc à poser la question que nous renvois ce texte dans son mouvement même, pour un dimanche de la réformation : quel est l'essentiel de la réforme aujourd'hui ? Quel est l'essentiel de notre protestantisme ?

Pour répondre à cette question je suis allé rechercher un texte du pasteur Samuel Vincent - certes cet homme n'est pas contemporain de Luther, mais au début du XIXème ce pasteur nîmois fait paraître un ouvrage appelé vue sur le protestantisme français ; ouvrage dans lequel il définit l'idée du protestantisme. Pour ouvrir sa définition, il a ce mot resté célèbre parmi les théologiens protestants : « Pour moi le fonds du protestantisme, c'est l'Evangile ; sa forme, c'est la liberté d'examen »4.

Autorité des écritures et liberté de conscience, Evangile et liberté ces deux mots sont aujourd'hui associés par un excellent journal libéral – mais ces deux mots, c'était pour le pasteur Samuel Vincent le résumé du protestantisme, deux mots pour dire l'essence du protestantisme. Et ce slogan : « le fonds du protestantisme c'est l'évangile, sa forme c'est la liberté » ; le pasteur Samuel Vincent le détaillait et l'expliquait en opposant deux types de protestants possibles. Il écrivait :

« Ou les protestants sont une réunion de quelques hommes qui ont repoussé certains dogmes de l'église romaine, pour mettre à la place les leurs et qui les défendent avec la même persévérance et presque toujours par les même moyens ;
Ou bien, ils sont la réunion de tous les hommes qui veulent la liberté de conscience et d'examen, et qui ne veulent plus la tyrannie spirituelle de Rome, ni de personne.
Les premiers sont plus qu'à moitié catholiques. Les autres sont vraiment réformés, car leur Réforme est fondamentale. Elle rend à la Bible tous ses droits, à l'homme toute sa dignité »5.

Abandonner toute tyrannie spirituelle, refuser de s'attacher à toute confession de foi pré-mâchée ou toute dogmatique prête à croire mais affirmer l'autorité souveraine des Ecritures et la liberté de conscience.

Cette définition de l'élan de la réforme, nous pouvons la retrouver dans des mots plus proches de nous, plus contemporains, sous la plume du pasteur André Gounelle, dans son livre « Penser la foi », ce théologien écrit : « Aucune position doctrinale, ecclésiale, ou éthique, ne peut prétendre à s'identifier avec l'enseignement et le message évangélique. Par contre, le chrétien s'efforce de rester en correspondance ou en continuité avec ce message et de continuellement se confronter avec la Bible »6.

A la lecture de l'évangile, en fidélité, la liberté de conscience est une obligation. C'est aussi surprenant que de faire de l'amour un commandement, mais l'élan de la réforme nous contraint à la liberté, et à devoir nous efforcer à faire le jeu de correspondance et de continuité, en permanence, entre nos vies et l'Evangile.

Conclusion
Dans l'évangile, des maîtres sadducéens venus trouver Jésus pour le mettre à l'épreuve et savoir quel est l’essentiel de la loi et des prophètes se trouvent renvoyés à un commandement d'amour vis à vis de Dieu et vis à vis du frère et de la sœur. Un commandement d'amour qui fonde une relation d'amour bien différente de celle de la satisfaction d'un désir individuel, mais un chemin ouvert à l'avenir dans le respect de soi, de Dieu et des autres.

De la même manière celui qui s'interroge aujourd'hui sur la réforme et sur ce qui fait l'essentiel du protestantisme ne peut être que renvoyé à sa liberté de conscience, et à la manière dont en lui, dans sa propre vie, l'évangile raisonne. Une pensée qui n'est pas une dogmatique ou un système religieux prêt à l'emploi, mais un chemin ouvert à l'avenir dans le respect de soi, de Dieu et des autres.

Et pour laisser le dernier mot à l'évangile, quand Jésus cite les commandements il dit tu aimeras ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu ; tu aimeras ton prochain. Le maître ne commande pas avec un impératif – il ouvre un futur, « tu aimeras », il fait ainsi de l'amour un chemin toujours disponible, toujours devant nous, un chemin toujours à venir, dans lequel nous pouvons toujours nous engager avec force et dignité, avec foi et courage. Sur ce chemin il nous attend prêt à faire route avec nous, à prendre notre main dans la sienne.

Au Christ seul soit la gloire. Amen.
1A. Nouis, L'aujourd'hui de l'évangile, Ed. Olivetan, p. 373
2Cf. P. Bonnard, L'évangile selon Matthieu, Labor & Fidès, p. 327
3Cf. Daniel Marguerat, L'évangile du jugement, Labor et Fidès, p. 132s : « Une prescription de la Loi est dite « Petite » ou « légère » dans la mesure où son accomplissement exige peu d'efforts – ou bien, selon d'autres rabbins, procure un salaire eschatologique moindre »
4S. Vincent, Vues sur le protestantisme français, p. 19
5S. Vincent, idem, p. 20
6A. Gounelle, Penser la foi, p. 65

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