mardi 6 mai 2014

une anthropologie ou DES anthropologieS bibliqueS ?



Peut-on parler d’une anthropologie biblique ?
Le débat sur la bénédiction l’a mise au premier plan – la Bible véhiculerait une anthropologie – une compréhension de l’humain – qui ferait norme ou cadre pour dire comment Dieu envisage l’homme et la femme. Dans le débat actuel, avec ce cadre ou cette norme, le mariage de personnes de même sexe et sa bénédiction, serait soit tout à fait condamnable, soit souhaitable… au choix des partisans d’un camp ou de l’autre.
Entendons-nous que cela  suppose que dans un cas comme dans l’autre, les Ecritures soit univoques ? C’est sous-entendre que de la Genèse à l’Apocalypse une seule définition de l’humain prévale, et qu’une seule vision de l’humain s’impose pour le millénaire qui a vu la constitution de l’écrit biblique (si l’on part de la période monarchique – 1000 av. JC ; jusqu’à la rédaction des derniers textes du nouveau testament – 120 ap. JC). C'est-à-dire que pour transposer la chose de manière contemporaine : nous aurions aujourd’hui la même vision de la vie, de l’humanité, de la valeur de l’humain qu’en l’an mille. Reconnaissons qu’en matière d’égalité homme-femme, que sur la place des enfants ou le regard que nous portons sur nos anciens, grâce à Dieu, les choses ont évoluées, en mille ans ! Et nous voudrions que pour les millénaires précédents les choses soient fixées une fois pour toute : c’est manquer de raison et de foi… en un Dieu qui fait germer sans cesse du nouveau !
Bref parler d’anthropologie biblique au singulier et de manière univoque c’est forcément occuper une place idéologique. Une place qui ne peut pas être celle du lecteur de la Bible, qui travaille les Ecritures comme il souhaite que son écoute du texte travaille sa vie. N’en déplaisent à ceux qui en appellent au Sola Scriptura comme à une évidence, il faut lire les Ecritures pour comprendre qu’il n’y a pas de réponse prête à porter, pas de réponse évidente à dire. Le regard que nous portons sur l’être humain – à la fois juste et pécheur – doit sans cesse s’ajuster à la réalité humaine et à l’amour exigeant de Dieu. Je crois qu'il n'y a pas une anthropologie biblique mais DES anthropologieS bibliqueS.
Ainsi, pour prendre un exemple concret dans le débat actuel, beaucoup citent le texte de la création de Genèse 1 : quand Dieu créé l’humain à son image et qu’il le créée « homme et femme ». Notons que cette référence est un choix ; un choix que le texte biblique n’impose pas, puisqu’il porte en son sein un deuxième récit de création dans lequel la femme est créée en vis-à-vis de l’homme, sans aucune notion d’image de Dieu. Deux textes qui disent deux anthropologies différentes, deux visions de l’humain différent, à deux chapitres de distance. Différents ne veut pas dire contradictoire : notons que ces deux textes insistent ensemble sur la différenciation des sexes, certes. Mais toute la Bible n’en va pas ainsi. En sens contraire, l’apôtre Paul insistera sur la fusion de l’humanité en Christ, effaçant les différences dans une communion égalitaire par delà les critères religieux, sociaux, et sexuels: « Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Christ Jésus : vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous, vous êtes un en Christ Jésus » (Galates, chap. 3, v. 26s). C’est aussi une anthropologie biblique possible, disponible dans le texte.
Je crois donc qu’il n’y a pas une anthropologie biblique univoque qui doive formater aujourd’hui notre vie d’église mais des anthropologieS au pluriel. D’autant qu’il faudrait, avec un point de vue réducteur et uniformalisé, renoncer à un certain nombre d’avancées ecclésiologiques ; car avec le Sola Scriptura érigé en loi, sans interprétation ni témoignage intérieur de l’Esprit : quid du ministère féminin ? Car, tout comme il est clairement écrit que l’homosexualité dans la Bible est un péché, il est aussi clairement écrit que les femmes doivent se taire dans les assemblées – faut-il au nom du Sola Scriptura que nous renoncions à avoir des collègues femmes ? Je ne le crois pas, une fois encore nous ne pouvons renoncer au débat de l’interprétation, à la réception communautaire des textes, au travail ensemble des Ecritures. 
La relation entre Dieu et l’humain dans la Bible est peinte en plusieurs couleurs, à nous de trouver les teintes dominantes pour la dire aujourd’hui. Sans évidence, mais avec confiance : l’Éternel nous accompagne aujourd'hui comme hier. Et puisque la tentation est là, je crois qu'il faut la dénoncer : renoncer au débat quant à la réception des Ecritures aujourd’hui, serait nuire à ce qui fait le sens même de l’église. L'église doit demeurer la communauté des croyants rassemblée autour du Christ vivant, se révélant par les Écritures et non autour de quelques clercs soi-disant inspirés et décidant pour les autres. En matière d'anthropologies comme sur beaucoup d'autres sujets, il n'y a peut-être pas d'évidence biblique, du coup je crois que l'église doit demeurer un espace où la rencontre, le dialogue et le débat soient ouverts, en dehors de toute crispation sur une vérité autre que le Christ lui-même.