Peut-on parler d’une anthropologie
biblique ?
Le débat sur la bénédiction l’a
mise au premier plan – la Bible
véhiculerait une anthropologie – une compréhension de l’humain – qui ferait
norme ou cadre pour dire comment Dieu envisage l’homme et la femme. Dans le
débat actuel, avec ce cadre ou cette norme, le mariage de personnes de même
sexe et sa bénédiction, serait soit tout à fait condamnable, soit souhaitable… au
choix des partisans d’un camp ou de l’autre.
Entendons-nous que cela suppose que dans un cas comme dans l’autre,
les Ecritures soit univoques ? C’est sous-entendre que de la Genèse à l’Apocalypse une
seule définition de l’humain prévale, et qu’une seule vision de l’humain
s’impose pour le millénaire qui a vu la constitution de l’écrit biblique (si
l’on part de la période monarchique – 1000 av. JC ; jusqu’à la rédaction
des derniers textes du nouveau testament – 120 ap. JC). C'est-à-dire que pour
transposer la chose de manière contemporaine : nous aurions aujourd’hui la
même vision de la vie, de l’humanité, de la valeur de l’humain qu’en l’an
mille. Reconnaissons qu’en matière d’égalité homme-femme, que sur la place des
enfants ou le regard que nous portons sur nos anciens, grâce à Dieu, les choses
ont évoluées, en mille ans ! Et nous voudrions que pour les millénaires
précédents les choses soient fixées une fois pour toute : c’est manquer de
raison et de foi… en un Dieu qui fait germer sans cesse du nouveau !
Bref parler d’anthropologie
biblique au singulier et de manière univoque c’est forcément occuper une place
idéologique. Une place qui ne peut pas être celle du lecteur de la Bible, qui travaille les Ecritures
comme il souhaite que son écoute du texte travaille sa vie. N’en déplaisent à
ceux qui en appellent au Sola Scriptura comme à une évidence, il faut
lire les Ecritures pour comprendre qu’il n’y a pas de réponse prête à porter,
pas de réponse évidente à dire. Le regard que nous portons sur l’être humain –
à la fois juste et pécheur – doit sans cesse s’ajuster à la réalité humaine et
à l’amour exigeant de Dieu. Je crois qu'il n'y a pas une anthropologie biblique mais DES anthropologieS bibliqueS.
Ainsi, pour prendre un exemple
concret dans le débat actuel, beaucoup citent le texte de la création de Genèse 1 : quand Dieu
créé l’humain à son image et qu’il le créée « homme et femme ». Notons
que cette référence est un choix ; un choix que le texte biblique n’impose
pas, puisqu’il porte en son sein un deuxième récit de création dans lequel la
femme est créée en vis-à-vis de l’homme, sans aucune notion d’image de Dieu. Deux
textes qui disent deux anthropologies différentes, deux visions de l’humain
différent, à deux chapitres de distance. Différents ne veut pas dire contradictoire : notons que ces deux textes insistent ensemble sur la différenciation des sexes, certes. Mais toute la Bible n’en va pas ainsi. En
sens contraire, l’apôtre Paul insistera sur la fusion de l’humanité en Christ,
effaçant les différences dans une communion égalitaire par delà les
critères religieux, sociaux, et sexuels: « Car vous êtes tous fils de Dieu
par la foi en Christ Jésus : vous tous qui avez été baptisés en Christ,
vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni
esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous, vous êtes un
en Christ Jésus » (Galates, chap. 3, v. 26s). C’est aussi une
anthropologie biblique possible, disponible dans le texte.
Je crois donc qu’il n’y a pas une
anthropologie biblique univoque qui doive formater aujourd’hui notre vie d’église mais des anthropologieS au pluriel.
D’autant qu’il faudrait, avec un point de vue réducteur et uniformalisé, renoncer à un certain
nombre d’avancées ecclésiologiques ; car avec le Sola Scriptura érigé en
loi, sans interprétation ni témoignage intérieur de l’Esprit : quid du ministère
féminin ? Car, tout comme il est clairement écrit que l’homosexualité dans la Bible est un péché, il est aussi clairement écrit que les
femmes doivent se taire dans les assemblées – faut-il au nom du Sola Scriptura que
nous renoncions à avoir des collègues femmes ? Je ne le crois pas, une
fois encore nous ne pouvons renoncer au débat de l’interprétation, à la
réception communautaire des textes, au travail ensemble des Ecritures.
La
relation entre Dieu et l’humain dans la Bible est peinte en plusieurs couleurs, à nous de
trouver les teintes dominantes pour la dire aujourd’hui. Sans évidence, mais avec confiance : l’Éternel nous accompagne aujourd'hui comme hier. Et puisque la tentation est là, je crois qu'il
faut la dénoncer : renoncer au débat quant à la réception des Ecritures
aujourd’hui, serait nuire à ce qui fait le sens même de l’église. L'église doit demeurer la
communauté des croyants rassemblée autour du Christ vivant, se révélant par les Écritures et non autour de
quelques clercs soi-disant inspirés et décidant pour les autres. En matière d'anthropologies comme sur beaucoup d'autres sujets, il n'y a peut-être pas d'évidence biblique, du coup je crois que l'église doit demeurer un espace où la rencontre, le dialogue et le débat soient ouverts, en dehors de toute crispation sur une vérité autre que le Christ lui-même.