Évangile selon Luc, chap. 2, 46 à 55 :
46Et Marie dit :
Je magnifie le Seigneur,
47je suis transportée d'allégresse en Dieu, mon Sauveur, 48parce qu'il a porté les regards sur l'abaissement de son esclave.
Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse,
49parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Son nom est sacré,
50et sa compassion s'étend de génération en génération
sur ceux qui le craignent.
51Il a déployé le pouvoir de son bras ;
il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,
52il a fait descendre les puissants de leurs trônes,
élevé les humbles,
53rassasié de biens les affamés,
renvoyé les riches les mains vides.
54Il a secouru Israël, son serviteur,
et il s'est souvenu de sa compassion
55— comme il l'avait dit à nos pères —
envers Abraham et sa descendance, pour toujours.
Pour ce
temps de l’avent – le Magnificat. Ce texte poétique, une prière ou un chant qui
est mis à l’ouverture de l’évangile selon Luc avec d’autres prières ou
chants : ceux de Zacharie, de Syméon.
Ce chant,
ce texte nous l'avons déjà ouvert la semaine dernière, j'ai voulu souligner
dans la prédication combien Marie annonçait le Christ comme une femme de son
temps, une femme de son peuple : une femme Juive qui reprenait la louange à son
Dieu, le Dieu d'alliance, le Dieu des Pères : Abraham, Isaac et Jacob. Vendredi lors du culte en semaine pour aller un peu plus loin, je me suis
arrêté à la féminité de Marie et à la place de la femme dans la religion.
Aujourd'hui,
dans ce chant de Marie je voudrai faire résonner particulièrement deux
mots : Joie et humilité. La Joie,
tout le vocabulaire de l’exaltation de Marie l’exprime : « je
magnifie le Seigneur », « je suis transportée d’allégresse »,
« chaque génération me dira heureuse » ou « bienheureuse »
selon les traductions.
Joie,
Allégresse, Heureuse ou bienheureuse ; la joie est donc clairement
affichée au démarrage de l’évangile selon Luc, et la joie marque en fait la
naissance du Christ. Naissance qui est annoncée aux bergers avec ces
mots : « je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie ».
Mais
cette joie est dite dans l’humilité : Au milieu de ces expressions de
joie, il y a des mots de Marie qui sont des mots rudes, tout de même :
Dieu, mon sauveur, « a porté les regards sur l’abaissement de son
esclave » - le registre de l’abaissement n’est déjà pas très heureux, mais
la répétition se fait insistante : abaissement de son esclave. Marie
développe ici ce que l’on peut appeler en termes techniques : une
anthropologie négative ; elle est une esclave et une esclave abaissée –
redondance qui fait de Marie non pas une reine des cieux mais bien une humble
servante.
Joie et
humilité : la joie arrive à cette femme qui se considère comme pas
grand-chose alors qu’elle était somme toute promise à la descendance de David –
il y a donc là non pas un constat social, mais bien un exercice d’humilité, au
sens noble. Un acte d’humilité qui je crois prends tout son sens dans la suite
du chant : le Seigneur « disperse ceux qui avaient des pensées
orgueilleuses, il fait descendre les puissants de leurs trône, élève les
humbles, rassasie de biens les affamés, renvoie les riches les mains
vides »
Élévation
des humbles et dispersion des orgueilleux sont à entendre comme le programme de
la joie. La joie, oui, joie qui donne son sens à l’évangile, la bonne nouvelle,
joyeux message : Souvenons-nous que la première prédication, le premier
enseignement de Jésus que nous rapporte l’évangile selon Luc, dans la synagogue
de Nazareth, est dite à partir du rouleau d’Esaïe :
« L’Esprit
du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer
la bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyer pour proclamer aux captifs
la délivrance, et aux aveugles le retour à la vue ; pour renvoyer libres
les opprimés, pour proclamer une année d’accueil de la part du Seigneur ».
La joie
et l’humilité sont liées au même titre que la bonne nouvelle est liée à une
certaine humilité, à une certaine pauvreté. Luc insiste ici particulièrement
sur les caractéristiques sociales – dans un tout autre registre l’évangéliste
Marc rapportera, au début du ministère de Jésus, sa parole : « Ce
ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je
ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs ». Chez Matthieu
dans le même genre, ce sera le registre du petit et notamment « du plus
petit d’entre les frères ». Le pauvre, le malade, le plus petit ce
sont les destinataires de l'évangile.
Humbles
et pauvres chez Luc, malades et pécheurs chez Marc, les plus petits chez
Matthieu – l'évangile trace des anthropologies négatives à partir desquelles
résonne le salut : la joie de Marie, le rassasiement des affamés de son
Magnificat, la guérison et le pardon pour les malades et les pécheurs de Marc.
Tel est le règne de Dieu MAINTENANT ! Car c’est bien de cela dont il
s’agit. Si Marie se reconnaît esclave, et qui plus est esclave abaissée, ce
n’est pas par pur plaisir de s’humilier, ni par pessimisme ou dépression.
Il s’agit
de dire le règne de Dieu MAINTENANT !. Ce règne de Dieu que Jésus
proclamera à son tour, après Marie. Mais règne que Marie n’est pas la première
à chanter, déjà Anne dans le premier testament le chantait, où encore ce règne
de Dieu dit en terme joie et d'humilité se retrouve à chaque page du livre des
psaumes. Ou presque. Nous pouvons l'entendre au psaume 146.
Louez le SEIGNEUR (Yah) ! Que je loue le SEIGNEUR ! Je louerai le SEIGNEUR tant que je vivrai, je chanterai pour mon Dieu tant que j'existerai.
Ne mettez pas votre confiance dans les nobles, dans des humains à qui n'appartient pas le salut. Leur souffle s'en va, ils retournent à leur poussière, et le jour même leurs intentions disparaissent.
Heureux celui qui a pour secours le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR, son Dieu, lui qui fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve, lui qui garde la loyauté pour toujours !
Il agit envers les opprimés selon l'équité ; il donne du pain aux affamés ; le SEIGNEUR relâche les prisonniers ; le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles ; le SEIGNEUR redresse ceux qui sont courbés ; le SEIGNEUR aime les justes. Le SEIGNEUR garde les immigrés, il soutient l'orphelin et la veuve, mais il fait dévier la voie des méchants.
Le SEIGNEUR régnera toujours — ton Dieu, Sion, de génération en génération ! Louez le SEIGNEUR (Yah)
Parler du
règne de Dieu, à la suite du Magnificat, à la suite de ce psaume 146 peut se
résumer en quelques mots : "ne faites pas confiance aux princes".
On dirait aujourd’hui : ne vous fiez pas aux gouvernements. C’est
l’expérience des pauvres de tous temps, qu’il s’agisse de nations ou
d’individus. Le monde s’est toujours structuré contre eux, les pauvres, et les
grands sont ligués pour les opprimer. Une seule solution, pour le psalmiste de
jadis : mettre son espoir en l’Eternel, qui seul peut modifier la
situation au profit des pauvres en établissant son règne ».
Une seule
solution, pour Marie et le Magnificat : reconnaître dans le monde, dans
son aujourd’hui, le pouvoir du bras de Dieu déployé. Il ne s'agit pas d'un
discours politique – surtout pas un jour d'élection comme aujourd'hui. Mais il
s'agit de reconnaître et croire. Karl Barth le redisait au XXème siècle : « nous
vivons dans le monde et ce monde est le monde de Dieu, créé, maintenu et régi
par Lui. Nous vivons totalement dans le monde où c’est opéré la réconciliation
en Christ. Non pas quelque abîme où Dieu ne serait absolument pas présent, mais
en un monde où Dieu a parlé, a agi par Sa parole ».
Car si
entre arrogants et humble se dit la joie du Magnificat de Marie, si entre
riches et pauvres se joue la prédication du royaume, si entre puissants
et petits se dit l’Evangile comme joyeux message c’est qu’il y a là un enjeux
de foi, un enjeu de confiance en Sa parole. Oui l’évangile n’a jamais invité à
la révolution mais à la foi en la parole.
Au temps
de la réforme, Luther le soulignait déjà dans son commentaire du
Magnificat : « Dieu élève les humbles. Cela ne veut pas dire qu’il
les met sur des trônes à la place de ceux qu’il en a fait descendre » et
il concluait en écrivant : « encore faut-il que nous ayons assez de
foi pour croire à la vérité de la Parole ».
Les
humbles, les pauvres, les petits sont ceux qui ne suffisent pas en eux-mêmes,
ceux qui reconnaissent qu'ils ont besoin de Dieu, ceux qui se reconnaissent
comme dépendant, en manque, dans le besoin. Eux sont dépendants, en manque,
dans un besoin de confiance. Ils ne se suffisent pas à eux-mêmes et ont de la
place pour l’A/autre, ils peuvent faire confiance à une parole venue du dehors.
Marie se
disant humble, pauvre et petite – dans l’abaissement d’une esclave – elle fait
confiance en une parole qui lui est dite pour elle, intimement pour elle,
et elle reçoit la joie. Il faut se reconnaître esclave pour être libéré, malade
ou infirme pour trouver la guérison ; accepter d’être trouvé pécheur pour
être pardonné.
Paul
Tillich définissait la foi comme « le courage d’accepter d’être accepté
alors mêmes que nous étions inacceptables ». J'utilisais cette
définition de la foi en septembre : « accepter d'être accepté
alors que nous sommes inacceptables ». C’est à ce prix que la joie
avec Dieu peut-être vécue, MAINTENANT ! Que le joyeux message peut être
entendu et que la louange alors peut-être dite : Magnificat ! Le
règne de Dieu est le programme de l’évangile.
Dans ces
temps de l’avent, alors que nous marchons vers les fêtes les mémoires troubles
de tout ce qui a été traversé ces derniers temps, le Magnificat peut résonner
comme une double exhortation
La
première exhortation, pour nous-mêmes :
Il ne
faut pas nous enfermer dans nos richesses, dans nos avoirs, dans ce que nous
pouvons offrir ; ces enfermements sont autant de puissance que Dieu met à
nu. Bien plus, le magnificat nous exhorte à reconnaître nos pauvretés, nos
manques, ce que nous avons à recevoir, toujours : la joie d’une parole qui
donne à vivre. C’est cela qui peut donner sens à nos fêtes.
La
seconde exhortation, pour nous ouvrir aux autres :
Dans 15
jours ce sera Noël, aujourd'hui se termine notre collecte pour les enfants de
la cimade. La diaconie, l'attention aux plus petits est fondamentalement
constitutive de l’église. La prédication de l’évangile ne peut se passer de
l’attention aux pauvres, aux petits, aux humbles à celles et ceux qui
souffrent. La fête de Noël, ne peut être une fête si nous laissons les autres
sur nos routes, au bord du chemin. L’église, la communauté, a besoin d'être
actrice d'entraide car, c'est là, un point d’ancrage dans le monde de la Parole
aujourd’hui. Une paroissienne me disait dernièrement qu'elle trouvait que dans l'église : "on parlait beaucoup des étrangers". Nous ne pouvons pas renier cette préoccupation, au nom de l'évangile, au nom de la bonne nouvelle de Noël, d'un Dieu qui se lie à notre humanité : l'attention aux pauvres, aux petits, aux exclus de notre temps, n'est pas une option - c'est le mouvement même de la mission de Dieu.
Magnificat !
Notre
Dieu est un Dieu de compassion, un Dieu d’amour pour chacun d’entre nous,
jusqu’au plus petits d’entre nos frères, jusqu'à ceux qui nous dérangent et nous gènent.
Que cet
amour soit, malgré tout ce que nous connaissons et rencontrons comme souffrance
et comme misère, source de vie et de joie, maintenant, dans notre chemin vers
Noël.
Au Christ
seul soit la gloire. Amen