Philippiens 2, 5 à 11 :
5Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ :
6lui qui était vraiment divin,
il ne s'est pas prévalu
d'un rang d'égalité avec Dieu,
7mais il s'est vidé de lui-même
en se faisant vraiment esclave,
en devenant semblable aux humains ;
reconnu à son aspect comme humain,
8il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à la mort
— la mort sur la croix.
9C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé
et lui a accordé le nom
qui est au-dessus de tout nom,
10pour qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11et que toute langue reconnaisse
que Jésus-Christ est le Seigneur
à la gloire de Dieu, le Père.
Inattendu
des lectures du jour, stupéfaction peut-être pour certains.
Avant
Noël, avant l’avent, la crucifixion ; avec ce texte de la lettre aux Philippiens
Ça
fait un peu « hors saison », je vous l’accorde. Le vendredi saint avant Noël,
c’est un peu comme si je vous proposais d’aller à la plage un jour de froid
comme aujourd’hui. Et pourtant, malgré Noël qui s’annonce d’ici un mois, malgré
le froid, malgré l’avent qui déjà advient – la croix a aujourd’hui sa raison
d’être. Ou du moins il y a une raison. Qui vaut ce qu’elle vaut mais qui
explique, pourquoi le texte d’aujourd’hui est ce très beau passage de la lettre
de Paul aux Philippiens.
Cette
raison se trouve dans le calendrier liturgique, c’était affiché là au début du
culte, nous sommes au dimanche du Christ roi – fête qui marque la fin de
l’année liturgique. Dimanche prochain, avec le 1er dimanche de l’avent nous
entamerons une nouvelle année – même si plus personne ne le remarque.
Bref
nous sommes au dimanche du Christ roi et cela explique que nous entendions le
récit de la crucifixion.
Le
Christ roi, c’est le Christ crucifié, ceci est clairement exprimée, ici, dans
l’épître de Paul aux Philippiens – la souveraineté a été donné au Christ après
la crucifixion, après la croix, dans un process d’abaissement, dans une logique
d’un Dieu fait homme.
Le
Christ roi, c’est le crucifié : C’était déjà dit dans l’évangile au moment de
la crucifixion. Pour ne prendre que l’évangile selon Luc, par exemple, la
mention de la royauté y est répétée deux
fois – en quelques versets. – la première – sur l’écriteau fixé au-dessus de
Jésus sur la croix : « c’est le roi des juifs » et – la seconde – dans la bouche d’un des
bandits crucifié avec Jésus : « Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras
comme roi ».
Le
Christ roi, c’est le christ crucifié. Cela peut paraître contradictoire, mais
cette contradiction fait, qu’en fait, le récit de la croix n’est pas si éloigné
du récit de la crèche qu’on voudrait bien le croire.
Cette
contradiction fait qu’on est en même tout proche de Noël.
Quand
Syméon, le vieux, voit arriver Jésus au temple pour être présenté, il dit : «
cet enfant est au monde pour être un signe de contradiction » (Traduction par
Marc Boegner – in Jésus Christ, Conférences, p. 17). Signe de contradiction
l’enfant qui naît dans une crèche va mourir sur la croix. Il n’a comme symbole
de royauté qu’une couronne d’épine – déguisement tressé par ceux qui
l’assassinent.
Le
Christ roi, signe de contradiction. Aujourd’hui il ne nous reste plus que ça
aujourd’hui comme sens ou signification à mettre derrière ce titre Christ roi.
Pourtant, pendant des siècles la mention du Christ-roi renvoyait à beaucoup
plus. Nous aurions pu entendre
aujourd’hui aussi, le récit de l’onction de David dans le second livre de
Samuel – comment David est devenu roi, comment il a pris le pouvoir.
Il
faut à la lecture de ce texte se souvenir que la royauté a été pendant longtemps
le seul régime politique sur la terre – que l’on appelle ça un chef de tribu,
un empereur, un prince régnant ou consort… ; la royauté – le dépôt du pouvoir
dans les mains d’un seul homme a longtemps été le sort partagé de l’humanité.
Aussi
gardant à l’esprit ce modèle politique, ce modèle universel à l’époque des
évangiles, l’affirmation du christ roi vient donc se heurter à la question de
la domination du monde – qui a le pouvoir aujourd’hui ? et à qui peut-on comparer le roi , la figure
du roi ?
Vraie
question à laquelle on ne peut apporter que des réponses partielles. Certains
diront sans doute Barach Obama, n° 1 de l’Etat n° 1 – il n’a néanmoins pas les
mêmes prérogatives qu’un empereur Romain.
D’autres
diront peut-être les médias, ceux qui font l’information qui dirigent le monde
en ce qu’ils focalisent l’attention sur tel ou tel problème.
D’autres,
plus souvent encore, diront que c’est le capital, c’est l’argent-roi et non
plus une personne qui a le pouvoir aujourd’hui. Etc. ect.
Je
ne trancherai pas dans ce débat, de ce qui fait figure de « roi » aujourd’hui,
mais force est de constater que la personne, le lieu, ce qu’est le pouvoir
n’est plus aussi clairement définit que
dans les premiers siècles. C’est flou et ce flou profite sans doute à celles et
ceux qui sont en capacité de faire peur. Aux barbares ou aux fondamentalistes
qu’ils soient des religieux islamistes ou des politiques nationalistes ; en fait, ce sont les mêmes. Les mêmes jouant avec les mêmes peurs.
Aussi
face à un tel délitement du pouvoir, un effacement du lieu de la domination du
monde – parler de royauté n’est pas évident à comprendre. D’autant que par la
force de contradiction, cette force de contradiction qui présente un roi dans
un condamné à mort, et qui fait de la croix le lieu de gloire du Christ. Il ne
s’agit, en parlant du Christ-roi, ni de ressusciter une conception monarchique
abandonnée à coup de guillotine, ni même de prôner un pouvoir absolu qui
dominerait en écrasant.
Mais
il s’agit de dire également un pouvoir, une domination, du Christ sur le monde
– qui s’inscrit dans la figure politique de la royauté de l’époque.
Oui
dire que le Christ est roi – qu’est-ce que cela veut dire ? Et qu’est-ce que
cela veut dire aujourd’hui, alors que règne la peur, alors que nous sommes une
semaine après le massacre de Paris.
A
partir du texte de Paul aux Philippiens, j’entends deux sens à la royauté du
Christ. Reconnaître le Christ Roi c’est d’abord – premier aspect - se
reconnaître comme participant d’une histoire dans laquelle le Christ a agit par
le passé, et dans laquelle le Christ agira dans l’à-venir. Entre l’histoire et
l’avenir c’est ce qu’écrit l’apôtre Paul : l’histoire du crucifié et
l’espérance de l’élévation dans la gloire de Dieu.
Dire
que le Christ est roi, c’est donc affirmer par la foi – que même si bien
souvent nous ne l’entendons pas, nous ne le voyons pas, nous ne le sentons pas
– il s’est fait entendre, voir et sentir dans l’histoire, et il se refera
entendre, voir et sentir dans l’à-venir. Fidélité au passé, et espérance en ce
qui vient. Nous sommes inscrits sur les paumes de Dieu diraient les prophètes
du premier testament.
Le
deuxième aspect, entre le présent et le futur de la royauté du Christ, ce qui
se donne à entendre, c’est une nouvelle définition de la domination. Si le
Christ est roi sur la croix, c’est donc que ce n’est pas celui qui écrase qui
dirige. Ce n’est pas celui qui accuse – mais c’est bien plus celui qui est
écrasé, et celui qui est accusé, celui qui s’est vidé de lui-même – il s’est
dépouillé écrit Paul.
Domination
par la faiblesse, pour reprendre le signe de contradiction dite tout à l’heure. Domination par l’amour,
s’il l’on fait de la croix un geste d’amour jusqu’au boutiste.
Christ
roi, Seigneur de l’histoire – dominant dans la contradiction, par sa faiblesse
ou son amour. C’est cette histoire qui commence par l’attente de Noël avec la
période de l’avent qui s’ouvrira dimanche prochain. Cette histoire d’une
espérance née au cœur du monde, de la part de Dieu.
Cette
histoire n’est pas un angélisme. Elle ne dit pas un royaume de l’ordre d’un
au-delà. Mais cet histoire se coltine notre monde, et elle se tisse en contradiction avec notre histoire. Dans la tradition de l’église cette descente
du Christ s’est entendue jusqu’aux tréfonds du monde : il est descendu aux enfers
disait le symbole des apôtres
Quand
Paul dit que Christ est descendu d’auprès de Dieu jusqu’à la mort, c’est dire
qu’il se coltine la violence du monde, toute la violence, y compris celle qui
s’est déchainée la semaine passée à Paris, un véritable enfer.
Si
dans les années 60 Sartre écrivait : « l’enfer c’est les autres » aujourd’hui
il faut rectifier le constat et il nous faut réaliser que « l’enfer c’est
nous-mêmes ».C’est la civilisation contemporaine –unique et mondialisée- qui a
suscité ses monstres. Renvoyer les barbares et les terroristes à l’altérité en
en disant qu’ils ne sont pas d’ici, qu’ils ne sont pas comme nous, c’est une
vue de l’esprit. L’enfer c’est nous-mêmes, cette violence ne nous est pas
étrangère.
Je ne prendrai qu’un seul exemple :
Ainsi
le 1er octobre sur la radio europe 1, on pouvait entendre : « Il y a au moins
un domaine dans lequel l’économie française réalise des performances
exceptionnelles : les ventes d'armes. En effet, jamais la France n'en a vendu
autant que cette année. Si l’on bloque les compteurs aujourd'hui, l'Hexagone
est même devenu le deuxième exportateur mondial d’armement, derrière les
Etats-Unis mais devant la Russie. A deux mois de la fin de l’année, le total
des ventes d’armes tricolores en 2015 avoisine déjà les 16 à 17 milliards
d’euros. »
Nous
bâtissons la richesse de notre pays sur la vente d’armes et nous voudrions
rester indemne ? Oui, l’enfer c’est nous-mêmes
Le
message du Christ-Roi de contradiction nous invite alors à réaliser qu’il est
indispensable de briser la spirale de la violence. Les interventions militaires
et les guerres, qui s’appuient sur la militarisation à outrance et
entretiennent le lucratif commerce des armes, n’apporteront pas de solution
durable et juste aux conflits en cours. C’est une évidence que tout le monde
fait mine d’ignorer comme si nous n’avions d’autres solutions.
Or
la violence ne fera qu’entraîner davantage de morts, de destructions, de
réfugiés et engendreront de nouveaux actes de terrorisme.
Ce
que murmure le Christ Roi c’est que notre monde a besoin de développer une
culture de non-violence et de paix ; ce que les évangiles appellent très
justement le Royaume. Ce n’est pas faire de l’angélisme, mais c’est dire le
besoin d’un règne de justice : justice sociale et justice entre les peuples. Il
est urgent de soutenir et de donner les moyens à tous celles et ceux qui sont
porteurs de ces valeurs pour qu’ils puissent agir auprès de leurs concitoyens et
de leurs dirigeants. C’est, sans angélisme, le meilleur moyen de travailler à
la sécurité de tous et de prendre soin de nos vies et de toutes celles qui nous
entourent.
Oui,
dans la fidélité au Christ Roi, nous croyons que Dieu nous appelle à l’amour
désarmé de nos frères et de nos soeurs en humanité. S’entend alors l’appel à tous les croyants à se rejoindre
sur ce chemin d’une non-violence active pour tracer les chemins du royaume.
S’entendent alors les demandes à élaborer un monde où chacun pourra vivre
dignement dans une paix assurée et vers un futur apaisé.
Alors
pour cette année liturgique nouvelle qui s’ouvre aujourd’hui,
Que
dans ses contradictions ce Christ-là vous aide à vivre-ensemble avec les
nôtres. Amen.