Evangile selon Luc, chap. 2, 46 à 55 :
46Et Marie dit :
Je magnifie le Seigneur,47je suis transportée d'allégresse en Dieu, mon Sauveur, 48parce qu'il a porté les regards sur l'abaissement de son esclave.
Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse,49parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses.Son nom est sacré,50et sa compassion s'étend de génération en générationsur ceux qui le craignent.51Il a déployé le pouvoir de son bras ;il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,52il a fait descendre les puissants de leurs trônes,élevé les humbles,53rassasié de biens les affamés,renvoyé les riches les mains vides.54Il a secouru Israël, son serviteur,et il s'est souvenu de sa compassion55— comme il l'avait dit à nos pères —envers Abraham et sa descendance, pour toujours.
Nous voici au premier
dimanche de l’avent : « déjà ! » diront certain, ceux qui ne
voient pas le temps passer, ceux qui ne comptent plus les jours
ajoutés aux jours. « Enfin ! » diront d’autres, heureux de voir
se terminer cette année 2015, enfin ! Que ce soit un déjà ou un
enfin, l’avent est, déjà ou enfin, ce temps qui s’ouvre vers
Noël.
Suzanne de Dietrich,
théologienne « laïque », c'est-à-dire jamais « ordonnée »,
est une femme qui a marqué les églises tant protestantes que
catholiques dans les années 60 à 70. Elle évoquait ainsi les
débuts de l’évangile :
« l’ère qui s’ouvre est celle du règne de Dieu. C’est le Roi en personne qui vient vers les siens pour accomplir leur libération.Le prince étranger auquel Jésus vient arracher son peuple n’est plus un Pharaon ou un Nébuchadnetzar, mais bien le « Prince de ce monde » dont les Pharaons et les Nébuchadnetzar n’étaient que les éphémères figurants sur la scène de l’histoire.Le joug dont Jésus va le délivrer est celui du péché ; l’exil dont il va le délivrer est la grande fuite loin de la face de Dieu. Il est l’Emmanuel : Dieu avec nous ».
C’est ça l’avent ! Se
préparer à faire face à l’Emmanuel, faire face à Dieu, entendre
la prédication du règne de Dieu, la Parole de libération du
péché : Etre arraché de la mort pour être vivant rien de
moins ! Le programme est considérable.
Dans notre parcours de
l’avent, le texte de l’évangile selon Luc va servir de base à
toutes mes prédications – rythmant notre marche vers Noël.
Ce texte, ce magnificat
est le témoignage d’un avent. L’avent de Marie, quand elle
entame son Magnificat, Marie est enceinte et elle le sait. Elle sait
aussi pourquoi elle est enceinte : Gabriel, le messager de l’Eternel,
l’ange du ciel, lui a tout dit : son fils « sera
appelé Fils du très haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône
de David ». Ce Magnificat est donc le
témoignage de Marie rédigé par Luc à la suite de sa rencontre
avec l’ange, avec ce messager et la parole de son Dieu. Témoignage
de Marie.
Marie, et il faut bien
commencer par là, Marie la caricature : Marie la mal aimée du
protestantisme et la bienaimée du catholicisme – caricature-t-on
souvent. Sans se souvenir ou sans savoir que si Luther et Calvin
admettaient la virginité perpétuelle de Marie, saint Thomas
d’Aquin, lui, la refusait. Eh oui, un des plus grands docteurs
de l’église catholique refusait le dogme marial tout en étant
canonisé.
Marie caricaturée,
déchirée : « les protestant ne croient pas en Marie » entend-t-on
souvent, comme si, comme si nous avions arraché des pages de nos
Bibles. De la même manière caricature-t-on la théologie catholique
en l’enfermant dans une dogmatique sévère. Tout n’est pas
blanc ou noir…
Car oui, Marie est un
personnage biblique, une de ces femmes qui marquent le récit de la
révélation de Dieu, qui marquent ce récit fortement. Une parmi
d’autre – car elle n’est pas la seule, et surtout elle n’est
pas la première femme à marquer le texte Biblique. A l’écoute du
Magnificat, on peut se souvenir particulièrement d’Anne, tant les
deux femmes sont proches malgré les siècles qui les séparent.
Anne cette femme stérile
du premier testament dont le Seigneur se souvient, qui tombe enceinte
et qui apporte son garçon Samuel au temple, pour le service du
Seigneur. Anne qui alors a prié comme Marie a chanté : « Par le
Seigneur mon cœur exulte »…. Comme Anne, Marie est une femme de
la Bible, une femme en relation avec Dieu, avec le Dieu de la
première alliance, car c’est une femme juive.
D’ailleurs, tout dans le
Magnificat dit de Marie qu’elle est une fille d’Israël, la suite
du récit le répètera. « Marie reprend la prière des femmes de
son peuple », j’ai cité Anne, mais il y avait aussi Myriam dans
le livre de l’Exode. « Elle est d’autre part soumise à la
législation concernant les différents états de la femme ». Par
exemple, l’insistance sur la virginité de Marie est de l’ordre
du respect de la loi et de la tradition. Loi et tradition qui seront
respectées après la naissance de Jésus avec sa circoncision, sa
présentation au temple et les rites de purification.
Marie, une femme juive, à
travers ses mots, fait acte d’une véritable confession de foi –
elle nomme son Dieu, elle le désigne. Son chant transpire de
l’identification de son Dieu. Dans la louange elle dit qui est
Dieu, qui est Dieu pour elle. Cette nomination, cette désignation
passe par plusieurs traits – j’en relève trois.
D’abord il y a ce que
classiquement on appel les titres - elle nomme Dieu à travers 3
titres : le Seigneur, mon Sauveur, le Puissant. En quelques mots un
visage de Dieu se dessine : Dieu est Seigneur : « celui qui a la
souveraineté » - « désignation liturgique de Dieu ». Dieu est
le Sauveur de Marie – on ne peut se passer d’une rencontre
individuelle et personnelle, prise de conscience, dans laquelle le
Seigneur devient mon Sauveur ; celui qui me relève et me donne à
vivre. Par là, le Seigneur, mon Sauveur est le Puissant : reconnu
comme celui qui est la source de ma vie, la puissance qui m’anime
et me donne le souffle.
Mais en plus de ces
titres, Marie nous livre ensuite un visage de Dieu qui est en quelque
sorte sa relecture du premier testament. Dieu y apparaît comme le
libérateur, celui qui élève les humbles, celui qui rassasie les
affamés et qui donne à tous juste de quoi vivre ; il donne aux
pauvres et renvoi les riches les mains vides mais vivant – juste de
quoi vivre.
Il apparaît alors comme
le Dieu de l’alliance avec Abraham. Le Dieu qui promettait un
peuple élu et une terre promise. Oui, au risque de me répéter, le
Dieu de Marie est fondamentalement le Dieu de la première alliance,
le Dieu des juifs, ce Dieu dont « le nom est sacré », au point que
l’on ne le désigne pas.
Enfin et à deux reprise
Marie par son chant nous dit que Dieu a compassion. Au v. 50 : « sa
compassion s’étend de génération en génération sur ceux qui le
craignent » ; et au v. 54 : « il s’est souvenu de sa compassion –
comme il l’avait dit à nos pères, envers Abraham et sa
descendance pour toujours ».
Avec ce motif de la
compassion, Marie n’invente pas, mais elle reprend un motif
biblique, déjà dans le psaume 103 il est écrit au v. 4 que « le
Seigneur te couronne de fidélité et de compassion » puis au v. 13
: « Comme un père a compassion de ses fils, le Seigneur a
compassion de ceux qui le craignent ».
Le pasteur Jean Vannier
écrivait que
« la compassion est une qualité de présence qui fait que celui qui est dans la détresse ne se sent plus tout seul et peut reprendre courage {…} la compassion est alors le sommet de l’amour ».
Dire la compassion de Dieu, c’est donc dire sa présence, une
présence encourageante, mais surtout son amour, ceux qui le
craignent sont alors ceux qui croient, qui espèrent.
Car peut-être faut-il
finalement ne retenir qu’une seule chose de ce texte ; ce chant est
un cri d’amour. Oui entre une louange et une confession de foi,
l’évangéliste Luc nous donne à entendre : le cri d’amour d’une
femme qui a ressenti la compassion, l’amour de Dieu au plus profond
de son être.
C’est ainsi que commence
la proclamation du règne de Dieu, la délivrance du péché, la
sortie de l’exil loin des regards de Dieu et de ses bénédictions
: un cri d’amour, le Magnificat. Luther écrivait : « Magnificare,
veut dire magnifier, exalter, glorifier. On l’utilise pour célébrer
celui qui est capable de réaliser beaucoup de grandes et bonnes
choses, qui sait et veut les réaliser. C’est ici le cas pour Dieu
dans le Magnificat. »
Et Luther insistait :
« Il ne suffit pas d’ailleurs de croire que Dieu est disposé à faire de grandes choses pour d’autres à l’exclusion de nous-mêmes. C’est l’erreur que commettent ceux qui, puissants, n’ont aucune crainte de Dieu ; et ceux qui, faible et opprimés, se laissent aller au découragement ».
Dieu est prêt à faire de
grande chose pour moi, pour toi, pour nous.
Magnificat, ce qui arrive
à Marie, fille d’Israël est pour nous – en ce temps de l’avent
– programmatique de la rencontre avec le Dieu qui se fait, par
elle, le Dieu avec nous. La Parole résonne pour nous : puissants ou
faibles, dans la crainte ou le découragement.
« Magnificat ! »,
Encore aujourd’hui et surtout demain le règne de Dieu est à vivre
au cœur du monde.
Nous sommes aimés de Dieu
sans condition – nous avons du prix à ses yeux. Sa compassion veut
revêtir nos vies pour nous donner d’aller par sa liberté, de
traverser les troubles du monde, d’être signe de paix face à la
violence du monde, être signe d’amour face à toutes les peurs. Et
nous le savons : il y en a, nos vies regorgent de violence
« Magnificat ! »
La louange ne nous
déracine pas du monde. L’évangile ne nous invite pas à nous
échapper du monde. Mais là, là où nous sommes nous pouvons
commencer par dire notre reconnaissance à l’égard de la
compassion de Dieu, un amour qui n’a pas de fin. Et dans la
louange, dans l’adoration, alors nous pouvons reprendre confiance
et lutter contre les discours de haine et les discours de peur. Toutes les paroles et toutes les actions qui essayent de rompre la confiance et le vivre ensemble, pour instiller la défiance et la violence.
« Magnificat ! »
Marie témoigne du Christ
qui nous a libéré du « prince de ce monde » pour que
nous puissions aimer sans frontières ni peurs, sans limites ni
angoisses. Nous libérant de toutes nos prétentions à exister par
nous-mêmes, le Christ nous ouvre à l’horizon infini de l’amour
de Dieu.
Au Christ seul soit la
gloire. Amen.
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