dimanche 29 novembre 2015

Prédication du 1er dimanche de l'avent - 29 novembre 2015

Evangile selon Luc, chap. 2, 46 à 55 : 

46Et Marie dit : 
 Je magnifie le Seigneur,
47je suis transportée d'allégresse en Dieu, mon Sauveur, 48parce qu'il a porté les regards sur l'abaissement de son esclave.
Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse,
49parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Son nom est sacré,
50et sa compassion s'étend de génération en génération
sur ceux qui le craignent.
51Il a déployé le pouvoir de son bras ;
il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,
52il a fait descendre les puissants de leurs trônes,
élevé les humbles,
53rassasié de biens les affamés,
renvoyé les riches les mains vides.
54Il a secouru Israël, son serviteur,
et il s'est souvenu de sa compassion
55— comme il l'avait dit à nos pères —
envers Abraham et sa descendance, pour toujours.

Nous voici au premier dimanche de l’avent : « déjà ! » diront certain, ceux qui ne voient pas le temps passer, ceux qui ne comptent plus les jours ajoutés aux jours. « Enfin ! » diront d’autres, heureux de voir se terminer cette année 2015, enfin ! Que ce soit un déjà ou un enfin, l’avent est, déjà ou enfin, ce temps qui s’ouvre vers Noël.
Suzanne de Dietrich, théologienne « laïque », c'est-à-dire jamais « ordonnée », est une femme qui a marqué les églises tant protestantes que catholiques dans les années 60 à 70. Elle évoquait ainsi les débuts de l’évangile :
« l’ère qui s’ouvre est celle du règne de Dieu. C’est le Roi en personne qui vient vers les siens pour accomplir leur libération.
Le prince étranger auquel Jésus vient arracher son peuple n’est plus un Pharaon ou un Nébuchadnetzar, mais bien le « Prince de ce monde » dont les Pharaons et les Nébuchadnetzar n’étaient que les éphémères figurants sur la scène de l’histoire.
Le joug dont Jésus va le délivrer est celui du péché ; l’exil dont il va le délivrer est la grande fuite loin de la face de Dieu. Il est l’Emmanuel : Dieu avec nous ».
C’est ça l’avent ! Se préparer à faire face à l’Emmanuel, faire face à Dieu, entendre la prédication du règne de Dieu, la Parole de libération du péché : Etre arraché de la mort pour être vivant rien de moins ! Le programme est considérable.
Dans notre parcours de l’avent, le texte de l’évangile selon Luc va servir de base à toutes mes prédications – rythmant notre marche vers Noël.
Ce texte, ce magnificat est le témoignage d’un avent. L’avent de Marie, quand elle entame son Magnificat, Marie est enceinte et elle le sait. Elle sait aussi pourquoi elle est enceinte : Gabriel, le messager de l’Eternel, l’ange du ciel, lui a tout dit : son fils « sera appelé Fils du très haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David ». Ce Magnificat est donc le témoignage de Marie rédigé par Luc à la suite de sa rencontre avec l’ange, avec ce messager et la parole de son Dieu. Témoignage de Marie.

Marie, et il faut bien commencer par là, Marie la caricature : Marie la mal aimée du protestantisme et la bienaimée du catholicisme – caricature-t-on souvent. Sans se souvenir ou sans savoir que si Luther et Calvin admettaient la virginité perpétuelle de Marie, saint Thomas d’Aquin, lui, la refusait. Eh oui, un des plus grands docteurs de l’église catholique refusait le dogme marial tout en étant canonisé.
Marie caricaturée, déchirée : « les protestant ne croient pas en Marie » entend-t-on souvent, comme si, comme si nous avions arraché des pages de nos Bibles. De la même manière caricature-t-on la théologie catholique en l’enfermant dans une dogmatique sévère. Tout n’est pas blanc ou noir…
Car oui, Marie est un personnage biblique, une de ces femmes qui marquent le récit de la révélation de Dieu, qui marquent ce récit fortement. Une parmi d’autre – car elle n’est pas la seule, et surtout elle n’est pas la première femme à marquer le texte Biblique. A l’écoute du Magnificat, on peut se souvenir particulièrement d’Anne, tant les deux femmes sont proches malgré les siècles qui les séparent.
Anne cette femme stérile du premier testament dont le Seigneur se souvient, qui tombe enceinte et qui apporte son garçon Samuel au temple, pour le service du Seigneur. Anne qui alors a prié comme Marie a chanté : « Par le Seigneur mon cœur exulte »…. Comme Anne, Marie est une femme de la Bible, une femme en relation avec Dieu, avec le Dieu de la première alliance, car c’est une femme juive.
D’ailleurs, tout dans le Magnificat dit de Marie qu’elle est une fille d’Israël, la suite du récit le répètera. « Marie reprend la prière des femmes de son peuple », j’ai cité Anne, mais il y avait aussi Myriam dans le livre de l’Exode. « Elle est d’autre part soumise à la législation concernant les différents états de la femme ». Par exemple, l’insistance sur la virginité de Marie est de l’ordre du respect de la loi et de la tradition. Loi et tradition qui seront respectées après la naissance de Jésus avec sa circoncision, sa présentation au temple et les rites de purification.

Marie, une femme juive, à travers ses mots, fait acte d’une véritable confession de foi – elle nomme son Dieu, elle le désigne. Son chant transpire de l’identification de son Dieu. Dans la louange elle dit qui est Dieu, qui est Dieu pour elle. Cette nomination, cette désignation passe par plusieurs traits – j’en relève trois.
D’abord il y a ce que classiquement on appel les titres - elle nomme Dieu à travers 3 titres : le Seigneur, mon Sauveur, le Puissant. En quelques mots un visage de Dieu se dessine : Dieu est Seigneur : « celui qui a la souveraineté » - « désignation liturgique de Dieu ». Dieu est le Sauveur de Marie – on ne peut se passer d’une rencontre individuelle et personnelle, prise de conscience, dans laquelle le Seigneur devient mon Sauveur ; celui qui me relève et me donne à vivre. Par là, le Seigneur, mon Sauveur est le Puissant : reconnu comme celui qui est la source de ma vie, la puissance qui m’anime et me donne le souffle.
Mais en plus de ces titres, Marie nous livre ensuite un visage de Dieu qui est en quelque sorte sa relecture du premier testament. Dieu y apparaît comme le libérateur, celui qui élève les humbles, celui qui rassasie les affamés et qui donne à tous juste de quoi vivre ; il donne aux pauvres et renvoi les riches les mains vides mais vivant – juste de quoi vivre.
Il apparaît alors comme le Dieu de l’alliance avec Abraham. Le Dieu qui promettait un peuple élu et une terre promise. Oui, au risque de me répéter, le Dieu de Marie est fondamentalement le Dieu de la première alliance, le Dieu des juifs, ce Dieu dont « le nom est sacré », au point que l’on ne le désigne pas.
Enfin et à deux reprise Marie par son chant nous dit que Dieu a compassion. Au v. 50 : « sa compassion s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent » ; et au v. 54 : « il s’est souvenu de sa compassion – comme il l’avait dit à nos pères, envers Abraham et sa descendance pour toujours ».
Avec ce motif de la compassion, Marie n’invente pas, mais elle reprend un motif biblique, déjà dans le psaume 103 il est écrit au v. 4 que « le Seigneur te couronne de fidélité et de compassion » puis au v. 13 : « Comme un père a compassion de ses fils, le Seigneur a compassion de ceux qui le craignent ».
Le pasteur Jean Vannier écrivait que
 « la compassion est une qualité de présence qui fait que celui qui est dans la détresse ne se sent plus tout seul et peut reprendre courage {…} la compassion est alors le sommet de l’amour ». 
Dire la compassion de Dieu, c’est donc dire sa présence, une présence encourageante, mais surtout son amour, ceux qui le craignent sont alors ceux qui croient, qui espèrent.
Car peut-être faut-il finalement ne retenir qu’une seule chose de ce texte ; ce chant est un cri d’amour. Oui entre une louange et une confession de foi, l’évangéliste Luc nous donne à entendre : le cri d’amour d’une femme qui a ressenti la compassion, l’amour de Dieu au plus profond de son être.
C’est ainsi que commence la proclamation du règne de Dieu, la délivrance du péché, la sortie de l’exil loin des regards de Dieu et de ses bénédictions : un cri d’amour, le Magnificat. Luther écrivait : « Magnificare, veut dire magnifier, exalter, glorifier. On l’utilise pour célébrer celui qui est capable de réaliser beaucoup de grandes et bonnes choses, qui sait et veut les réaliser. C’est ici le cas pour Dieu dans le Magnificat. »
Et Luther insistait : 
« Il ne suffit pas d’ailleurs de croire que Dieu est disposé à faire de grandes choses pour d’autres à l’exclusion de nous-mêmes. C’est l’erreur que commettent ceux qui, puissants, n’ont aucune crainte de Dieu ; et ceux qui, faible et opprimés, se laissent aller au découragement ». 
Dieu est prêt à faire de grande chose pour moi, pour toi, pour nous. 
 
Magnificat, ce qui arrive à Marie, fille d’Israël est pour nous – en ce temps de l’avent – programmatique de la rencontre avec le Dieu qui se fait, par elle, le Dieu avec nous. La Parole résonne pour nous : puissants ou faibles, dans la crainte ou le découragement. 
 
« Magnificat ! », 
Encore aujourd’hui et surtout demain le règne de Dieu est à vivre au cœur du monde.
Nous sommes aimés de Dieu sans condition – nous avons du prix à ses yeux. Sa compassion veut revêtir nos vies pour nous donner d’aller par sa liberté, de traverser les troubles du monde, d’être signe de paix face à la violence du monde, être signe d’amour face à toutes les peurs. Et nous le savons : il y en a, nos vies regorgent de violence
 
« Magnificat ! »
La louange ne nous déracine pas du monde. L’évangile ne nous invite pas à nous échapper du monde. Mais là, là où nous sommes nous pouvons commencer par dire notre reconnaissance à l’égard de la compassion de Dieu, un amour qui n’a pas de fin. Et dans la louange, dans l’adoration, alors nous pouvons reprendre confiance et lutter contre les discours de haine et les discours de peur. Toutes les paroles et toutes les actions qui essayent de rompre la confiance et le vivre ensemble, pour instiller la défiance et la violence. 
 
« Magnificat ! »
Marie témoigne du Christ qui nous a libéré du « prince de ce monde » pour que nous puissions aimer sans frontières ni peurs, sans limites ni angoisses. Nous libérant de toutes nos prétentions à exister par nous-mêmes, le Christ nous ouvre à l’horizon infini de l’amour de Dieu.
Au Christ seul soit la gloire. Amen.

vendredi 27 novembre 2015

Prédication du 22 novembre - Christ roi

Philippiens 2, 5 à 11 : 
5Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ :
6lui qui était vraiment divin,
il ne s'est pas prévalu
d'un rang d'égalité avec Dieu,
7mais il s'est vidé de lui-même
en se faisant vraiment esclave,
en devenant semblable aux humains ;
reconnu à son aspect comme humain,
8il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à la mort
— la mort sur la croix.
9C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé
et lui a accordé le nom
qui est au-dessus de tout nom,
10pour qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11et que toute langue reconnaisse
que Jésus-Christ est le Seigneur
à la gloire de Dieu, le Père.


Inattendu des lectures du jour, stupéfaction peut-être pour certains.
Avant Noël, avant l’avent, la crucifixion ; avec ce texte de la lettre aux Philippiens

Ça fait un peu « hors saison », je vous l’accorde. Le vendredi saint avant Noël, c’est un peu comme si je vous proposais d’aller à la plage un jour de froid comme aujourd’hui. Et pourtant, malgré Noël qui s’annonce d’ici un mois, malgré le froid, malgré l’avent qui déjà advient – la croix a aujourd’hui sa raison d’être. Ou du moins il y a une raison. Qui vaut ce qu’elle vaut mais qui explique, pourquoi le texte d’aujourd’hui est ce très beau passage de la lettre de Paul aux Philippiens. 

Cette raison se trouve dans le calendrier liturgique, c’était affiché là au début du culte, nous sommes au dimanche du Christ roi – fête qui marque la fin de l’année liturgique. Dimanche prochain, avec le 1er dimanche de l’avent nous entamerons une nouvelle année – même si plus personne ne le remarque.

Bref nous sommes au dimanche du Christ roi et cela explique que nous entendions le récit de la crucifixion.

Le Christ roi, c’est le Christ crucifié, ceci est clairement exprimée, ici, dans l’épître de Paul aux Philippiens – la souveraineté a été donné au Christ après la crucifixion, après la croix, dans un process d’abaissement, dans une logique d’un Dieu fait homme.

Le Christ roi, c’est le crucifié : C’était déjà dit dans l’évangile au moment de la crucifixion. Pour ne prendre que l’évangile selon Luc, par exemple, la mention de  la royauté y est répétée deux fois – en quelques versets. – la première – sur l’écriteau fixé au-dessus de Jésus sur la croix : « c’est le roi des juifs » et  – la seconde – dans la bouche d’un des bandits crucifié avec Jésus : « Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi ».

Le Christ roi, c’est le christ crucifié. Cela peut paraître contradictoire, mais cette contradiction fait, qu’en fait, le récit de la croix n’est pas si éloigné du récit de la crèche qu’on voudrait bien le croire.
Cette contradiction fait qu’on est en même tout proche de Noël.

Quand Syméon, le vieux, voit arriver Jésus au temple pour être présenté, il dit : « cet enfant est au monde pour être un signe de contradiction » (Traduction par Marc Boegner – in Jésus Christ, Conférences, p. 17). Signe de contradiction l’enfant qui naît dans une crèche va mourir sur la croix. Il n’a comme symbole de royauté qu’une couronne d’épine – déguisement tressé par ceux qui l’assassinent.

Le Christ roi, signe de contradiction. Aujourd’hui il ne nous reste plus que ça aujourd’hui comme sens ou signification à mettre derrière ce titre Christ roi. Pourtant, pendant des siècles la mention du Christ-roi renvoyait à beaucoup plus. Nous aurions pu  entendre aujourd’hui aussi, le récit de l’onction de David dans le second livre de Samuel – comment David est devenu roi, comment il a pris le pouvoir.

Il faut à la lecture de ce texte se souvenir que la royauté a été pendant longtemps le seul régime politique sur la terre – que l’on appelle ça un chef de tribu, un empereur, un prince régnant ou consort… ; la royauté – le dépôt du pouvoir dans les mains d’un seul homme a longtemps été le sort partagé de l’humanité.

Aussi gardant à l’esprit ce modèle politique, ce modèle universel à l’époque des évangiles, l’affirmation du christ roi vient donc se heurter à la question de la domination du monde – qui a le pouvoir aujourd’hui ?  et à qui peut-on comparer le roi , la figure du roi ?

Vraie question à laquelle on ne peut apporter que des réponses partielles. Certains diront sans doute Barach Obama, n° 1 de l’Etat n° 1 – il n’a néanmoins pas les mêmes prérogatives qu’un empereur Romain.
D’autres diront peut-être les médias, ceux qui font l’information qui dirigent le monde en ce qu’ils focalisent l’attention sur tel ou tel problème.
D’autres, plus souvent encore, diront que c’est le capital, c’est l’argent-roi et non plus une personne qui a le pouvoir aujourd’hui. Etc. ect.

Je ne trancherai pas dans ce débat, de ce qui fait figure de « roi » aujourd’hui, mais force est de constater que la personne, le lieu, ce qu’est le pouvoir n’est  plus aussi clairement définit que dans les premiers siècles. C’est flou et ce flou profite sans doute à celles et ceux qui sont en capacité de faire peur. Aux barbares ou aux fondamentalistes qu’ils soient des religieux islamistes ou des politiques nationalistes ; en fait, ce sont les mêmes. Les mêmes jouant avec les mêmes peurs. 

Aussi face à un tel délitement du pouvoir, un effacement du lieu de la domination du monde – parler de royauté n’est pas évident à comprendre. D’autant que par la force de contradiction, cette force de contradiction qui présente un roi dans un condamné à mort, et qui fait de la croix le lieu de gloire du Christ. Il ne s’agit, en parlant du Christ-roi, ni de ressusciter une conception monarchique abandonnée à coup de guillotine, ni même de prôner un pouvoir absolu qui dominerait en écrasant.

Mais il s’agit de dire également un pouvoir, une domination, du Christ sur le monde – qui s’inscrit dans la figure politique de la royauté de l’époque.

Oui dire que le Christ est roi – qu’est-ce que cela veut dire ? Et qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui, alors que règne la peur, alors que nous sommes une semaine après le massacre de Paris.

A partir du texte de Paul aux Philippiens, j’entends deux sens à la royauté du Christ. Reconnaître le Christ Roi c’est d’abord – premier aspect - se reconnaître comme participant d’une histoire dans laquelle le Christ a agit par le passé, et dans laquelle le Christ agira dans l’à-venir. Entre l’histoire et l’avenir c’est ce qu’écrit l’apôtre Paul : l’histoire du crucifié et l’espérance de l’élévation dans la gloire de Dieu.

Dire que le Christ est roi, c’est donc affirmer par la foi – que même si bien souvent nous ne l’entendons pas, nous ne le voyons pas, nous ne le sentons pas – il s’est fait entendre, voir et sentir dans l’histoire, et il se refera entendre, voir et sentir dans l’à-venir. Fidélité au passé, et espérance en ce qui vient. Nous sommes inscrits sur les paumes de Dieu diraient les prophètes du premier testament.

Le deuxième aspect, entre le présent et le futur de la royauté du Christ, ce qui se donne à entendre, c’est une nouvelle définition de la domination. Si le Christ est roi sur la croix, c’est donc que ce n’est pas celui qui écrase qui dirige. Ce n’est pas celui qui accuse – mais c’est bien plus celui qui est écrasé, et celui qui est accusé, celui qui s’est vidé de lui-même – il s’est dépouillé écrit Paul.

Domination par la faiblesse, pour reprendre le signe de contradiction  dite tout à l’heure. Domination par l’amour, s’il l’on fait de la croix un geste d’amour jusqu’au boutiste.

Christ roi, Seigneur de l’histoire – dominant dans la contradiction, par sa faiblesse ou son amour. C’est cette histoire qui commence par l’attente de Noël avec la période de l’avent qui s’ouvrira dimanche prochain. Cette histoire d’une espérance née au cœur du monde, de la part de Dieu.

Cette histoire n’est pas un angélisme. Elle ne dit pas un royaume de l’ordre d’un au-delà. Mais cet histoire se coltine notre monde, et elle se tisse en contradiction avec notre histoire. Dans la tradition de l’église cette descente du Christ s’est entendue jusqu’aux tréfonds du monde : il est descendu aux enfers disait le symbole des apôtres

Quand Paul dit que Christ est descendu d’auprès de Dieu jusqu’à la mort, c’est dire qu’il se coltine la violence du monde, toute la violence, y compris celle qui s’est déchainée la semaine passée à Paris, un véritable enfer.

Si dans les années 60 Sartre écrivait : « l’enfer c’est les autres » aujourd’hui il faut rectifier le constat et il nous faut réaliser que « l’enfer c’est nous-mêmes ».C’est la civilisation contemporaine –unique et mondialisée- qui a suscité ses monstres. Renvoyer les barbares et les terroristes à l’altérité en en disant qu’ils ne sont pas d’ici, qu’ils ne sont pas comme nous, c’est une vue de l’esprit. L’enfer c’est nous-mêmes, cette violence ne nous est pas étrangère. 

Je ne prendrai qu’un seul exemple :
Ainsi le 1er octobre sur la radio europe 1, on pouvait entendre : « Il y a au moins un domaine dans lequel l’économie française réalise des performances exceptionnelles : les ventes d'armes. En effet, jamais la France n'en a vendu autant que cette année. Si l’on bloque les compteurs aujourd'hui, l'Hexagone est même devenu le deuxième exportateur mondial d’armement, derrière les Etats-Unis mais devant la Russie. A deux mois de la fin de l’année, le total des ventes d’armes tricolores en 2015 avoisine déjà les 16 à 17 milliards d’euros. »

Nous bâtissons la richesse de notre pays sur la vente d’armes et nous voudrions rester indemne ? Oui, l’enfer c’est nous-mêmes

Le message du Christ-Roi de contradiction nous invite alors à réaliser qu’il est indispensable de briser la spirale de la violence. Les interventions militaires et les guerres, qui s’appuient sur la militarisation à outrance et entretiennent le lucratif commerce des armes, n’apporteront pas de solution durable et juste aux conflits en cours. C’est une évidence que tout le monde fait mine d’ignorer comme si nous n’avions d’autres solutions.

Or la violence ne fera qu’entraîner davantage de morts, de destructions, de réfugiés et engendreront de nouveaux actes de terrorisme.

Ce que murmure le Christ Roi c’est que notre monde a besoin de développer une culture de non-violence et de paix ; ce que les évangiles appellent très justement le Royaume. Ce n’est pas faire de l’angélisme, mais c’est dire le besoin d’un règne de justice : justice sociale et justice entre les peuples. Il est urgent de soutenir et de donner les moyens à tous celles et ceux qui sont porteurs de ces valeurs pour qu’ils puissent agir auprès de leurs concitoyens et de leurs dirigeants. C’est, sans angélisme, le meilleur moyen de travailler à la sécurité de tous et de prendre soin de nos vies et de toutes celles qui nous entourent.

Oui, dans la fidélité au Christ Roi, nous croyons que Dieu nous appelle à l’amour désarmé de nos frères et de nos soeurs en humanité. S’entend alors  l’appel à tous les croyants à se rejoindre sur ce chemin d’une non-violence active pour tracer les chemins du royaume. S’entendent alors les demandes à élaborer un monde où chacun pourra vivre dignement dans une paix assurée et vers un futur apaisé.

Alors pour cette année liturgique nouvelle qui s’ouvre aujourd’hui,
Que dans ses contradictions ce Christ-là vous aide à vivre-ensemble avec les nôtres. Amen.

Prédication du 18 octobre 2015



Marc 10, 35 à 45

 35Les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, viennent lui dire : Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. 36Il leur dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ? 37— Donne-nous, lui dirent-ils, de nous asseoir l'un à ta droite et l'autre à ta gauche dans ta gloire. 38Jésus leur dit : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que, moi, je bois, ou recevoir le baptême que, moi, je reçois ? 39Ils lui dirent : Nous le pouvons. Jésus leur répondit : La coupe que, moi, je bois, vous la boirez, et vous recevrez le baptême que je reçois ; 40mais pour ce qui est de s'asseoir à ma droite ou à ma gauche, ce n'est pas à moi de le donner ; les places sont à ceux pour qui elles ont été préparées.
41Les dix autres, qui avaient entendu, commencèrent à s'indigner contre Jacques et Jean. 42Jésus les appela et leur dit : Vous savez que ceux qui paraissent gouverner les nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité. 43Il n'en est pas de même parmi vous. Au contraire, quiconque veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; 44et quiconque veut être le premier parmi vous sera l'esclave de tous. 45Car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude.


Jacques et Jean demandent à Jésus de siéger avec lui dans sa gloire. Formule énigmatique qui ne nous fait pas bien comprendre ni ce qui les motive, pourquoi ils demandent cela, ni ce qu’ils visent, leur but, que recherchent-ils ? Siéger avec le Christ dans sa gloire est une expression très énigmatique, pas évidente à comprendre. Il est clair que derrière il y a une question de placement, d’être bien placé. Aujourd’hui encore, lors de certains diner et dans certaines maisons, être à droite ou à gauche de la maitresse de maison dit encore quelque chose.
C’est un peu pour ça que j’ai pensé à la forme du cercle pour ce matin – nous sommes tous à la droite ou à la gauche de quelqu’un.
Dire cela ne nous explique pas plus ce que voulaient Jacques et Jean – car l’expression être avec Christ dans sa gloire, reste énigmatique. Mais ils voulaient une bonne place…


Jésus répond comme si il comprenait la demande, mais c’est une demande à laquelle il ne peut accéder.  
Il répond que ce n’est pas possible et que siéger avec lui dans sa gloire n’est possible que pour ceux pour qui c’est prévu : « cela sera donné à ceux pour qui cela est préparé ».

A s’y arrêter, cette réponse est tout de même un peu choquante.
Jacques et Jean font parti du premier cercle des disciples de Jésus, ils ont été appelés dès le commencement, juste après Simon et André comme le raconte le chap. 1 de l’évangile selon Marc.
Fidèles parmi les fidèles, ils ont lâchés leurs filets de pêche et leur barque pour suivre Jésus et : « il n’est pas prévu qu’ils siègent avec le Christ dans sa gloire » – même si on ne comprend pas bien l’expression on saisit que c’est plutôt positif, c’est dire une proximité, et puis une participation à la gloire de Christ, ça doit être pas mal.

Et d’ailleurs cette réponse de Jésus comme la question de Jacques et Jean entraîne l’indignation des autres disciples – ou la jalousie : pourquoi eux ? Pourquoi pas eux ? et surtout pourquoi pas moi ?
Je ne sais pas ce qui fait réagir les disciples mais il s’indignent, et Jésus doit calmer les choses :
 « si quelqu’un veut être le premier qu’il soit l’esclave de tous » ; - ça calme.
« le fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir ».

Ce logion, cette parole de Jésus, nous la connaissons tous car l’évangéliste Jean la rapportera au moment du lavement des pieds ; un petit geste sympathique d’abaissement, un geste d’humilité qu’on apprécie, mise en pratique de la parole : le premier sera le serviteur de tous, ça a même un petit côté rigolo de laver les pieds de ses disciples

Par contre l’évangéliste Marc lui n’est pas aussi sympathique que Jean, il est même peut être un peu cynique…  dans un clin d’œil au lecteur. Jacques et Jean demandent à siéger dans la gloire du Christ, ils demandent à siéger « l’un à sa droite et l’autre à sa gauche ».

Or la seule autre fois, dans l’évangile qu’il sera fait mention de droite et de gauche à propos de Jésus, se sera… - quel est ce passage où il y a quelqu’un à gauche et quelqu’un à droite de Jésus ?... oui lors de la crucifixion.

A la mise en croix, au chapitre 15, les v. 22 s "Avec lui, ils crucifièrent avec lui deux brigants l'un à sa droite, l'autre à sa gauche."
Ce sont exactement les mêmes termes que ceux de la demande de Jacques et Jean : l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.

Ce clin d’œil, un brin cynique, vient aider à comprendre l’expression siéger avec Jésus dans la gloire : les disciples avaient sans doute en tête de participer au triomphe du Christ, ils pensaient pouvoir faire montre d’un peu de valeur, ils voulaient sans doute faire parti du club de supporter en première ligne lors de la victoire.

Et Jésus leur répond très justement : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé? »
Demander à siéger dans la gloire de Jésus, c’est demander à être crucifier avec lui.             Et cela, gageons que Jacques et Jean ne l’avait pas tout à fait compris, et bien souvent dans l’église nous l’oublions.


Jacques et Jean n’avaient sans doute pas compris que siéger dans la gloire du Christ, c’est être crucifié avec lui. D’où les derniers mots de Jésus dans ce passage de l’évangile que nous avons lu : « le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ».

Il a donné sa vie pour la multitude, et il l’a donné seul, entouré de deux brigands, deux bandits. L’un à sa droite l’autre à sa gauche.
Elle est là, la gloire du Christ, dans cette mise à mort, dans ce supplice, cette torture.

La gloire du Christ n’est pas dans cette mise à mort en elle-même, mais dans ce supplice pour les autres, dans cette torture pour la multitude – d’où l’expression assez moche, mais tout à fait parlante de « rançon », sans entrer dans les méandres d’une théologie de l’expiation substitutive – la rançon est payée pour la liberté des hommes.  Le salut vient dire que la libération nous est donnée

On peut alors se souvenir de la rencontre avec le jeune homme riche, rencontre par laquelle Jésus le dit clairement : quiconque prétend avoir une quelconque richesse – matériel, spirituelle, intérieure et j’en passe… - devant Dieu ne peut recevoir de lui le salut ;  quiconque prétend pouvoir apporter quelque chose à Dieu, ne peut comprendre que cette rançon est la seule valeur de sa vie, une valeur qui ne vient pas de soi-même, mais de Dieu

Pour conclure cette lecture : je vous propose de faire écho à ce texte de l’évangile avec deux courtes citations de Bonhoeffer
Dietrich Bonhoeffer dans une lettre de la prison de Tegel à Berlin où il avait été incarcéré à la suite de son activité conspiratrice contre Hitler, dans cette lettre datée du 16 juillet 1944 Dietrich Bonhoeffer écrivait : « Dieu se laisse déloger du monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide »[1].

Ainsi, en écho la gloire de Dieu dit quelque chose d’un Dieu se laisse déloger du monde, sa gloire c’est la croix, souffrance qui ne témoigne pas de l’absence, mais du silence de Dieu[2].

Jacques et Jean voulaient siéger avec Jésus dans sa gloire.
Ils n’envisageaient sans doute pas une gloire semblable à celle de la croix.
Pas plus que les autres disciples qui se mirent à les rabrouer, imaginant sans doute qu’ils souhaitaient prestige et puissance. Alors que la gloire de la croix ne donne à voir qu’une « figure humaine du dénuement ».

Cette gloire à pour seule « visibilité celle d’une chute, morceau par morceau ».
Jésus est d’abord rabroué par les soldats, moqués, ses vêtements sont tirés au sort, il est insulté par la foule des passants.
Chute de tout ce qui donne « le sentiment d’exister au regard du monde » pour aboutir à la mort[3].

Etre disciple ce n’était pas pour Jean et Jacques de participer à un prestige ou à une puissance du Christ, il en va de même aujourd’hui pour nous.
Etre disciple du Christ aujourd’hui, ce n’est pas pouvoir prétendre à participer au prestige et la puissance d’un Christ pantocrator, ce n’est pas siéger à la droite et à la gauche d’un Christ en gloire.

Le disciple est celui qui se met au service ; dans la même humilité que celle vécue par le Christ, au service des prochains comme des lointains. Une obéissance qui dans la révélation est toujours d’abord une écoute.

Bonhoeffer écrivait aussi : « la vie chrétienne ne peut avoir aujourd’hui que deux aspects : la prière et l’action juste parmi les humains »[4].  

« Prière » et « action juste parmi les humains » .
Prière qui témoigne de la présence silencieuse, prière par laquelle nous nous plaçons à l’écoute de Dieu et du monde.  
Et action juste dans la mise au service de l’autre, témoignage en acte de l’amour de Dieu.

Plus que de vouloir siéger à droite et à gauche dans la gloire du Christ, la prière et l’action juste sont le programme de la vie chrétienne.
Une vie qui reçoit toute sa valeur dans le regard d’amour que Christ pose sur nous.
Une vie qui peut grandir dans la dépendance à Dieu, dans la relation d’un enfant à son père.
Oui alors, la prière et l’action sont un programme de vie chrétienne
Un programme pour l’église comme pour chacun.  Amen.


[1] Résistance et soumission, Genève, Labor et fides, 1973, p. 367
[2] Henri Mottu, Dieu au risque de l’engagement, Genève, Labor et Fides, p. 54
[3] Les citations entre guillemets sont de J.D. Causse, « la symbolique de la croix », in J.M. Prieur éd., La croix, représentations théologiques et symboliques, Genève, Labor et Fides, p. 140
[4] D. Bonhoeffer, résistance et soumission, p. 309