Marc 15, 20 à 32
20 Après s'être moqués de lui, ils lui enlevèrent la pourpre et lui remirent ses vêtements. Puis ils le font sortir pour le crucifier. 21 Ils réquisitionnent pour porter sa croix un passant, qui venait de la campagne, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus. 22 Et ils le mènent au lieu-dit Golgotha, ce qui signifie lieu du Crâne. 23 Ils voulurent lui donner du vin mêlé de myrrhe, mais il n'en prit pas. 24 Ils le crucifient, et ils partagent ses vêtements, en les tirant au sort pour savoir ce que chacun prendrait. 25 Il était neuf heures quand ils le crucifièrent. 26 L'inscription portant le motif de sa condamnation était ainsi libellée: "Le roi des Juifs". 27 Avec lui, ils crucifient deux bandits, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. 29 Les passants l'insultaient hochant la tête et disant: "Hé! Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, 30 sauve-toi toi-même en descendant de la croix." 31 De même, les grands prêtres, avec les scribes, se moquaient entre eux: "Il en a sauvé d'autres, il ne peut pas se sauver lui-même! 32 Le Messie, le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions!" Ceux qui étaient crucifiés avec lui l'injuriaient.
Nous voilà donc au
terme de la proclamation de la bonne nouvelle. S’en est fait. Jésus a été arrêté,
c’est la neuvième heure – l’heure de la crucifixion. Lire ce passage de
l’évangile aujourd’hui peut surprendre. Mais le temps du carême est un temps où
nous nous tournons vers le vendredi saint et le matin de Pâques, un temps
durant lequel l’église fait mémoire du don au-delà de tout don fait par Dieu en
Jésus-Christ. Du coup il n’est pas totalement aberrant d’entendre ce récit de
la crucifixion même si nous sommes la semaine précédant les Rameaux.
Ce récit de la
crucifixion : Tout le monde connaît la scène. Que l’on soit chrétien ou
non, que l’on fréquente les Ecritures ou pas : le sujet est connu. Marc rapporte
la scène en quelques mots – nous pourrions relire l’évangile selon Matthieu ou
selon Jean pour voir comment d’autres évangélistes déploient l’événement de
manière plus ample. Au mois de février nous avions même vu en étude biblique
que la scène est rapportée par les évangiles apocryphes de manière beaucoup
plus développée également. L’évangéliste Marc a choisi un récit court – un
petit texte.
Et dans ce petit texte,
l’évangéliste Marc trace un contraste fondamental, il dit quelque chose
d’important avec quelques mots. Oui à bien l’entendre, je crois que nous ne pouvons que être très surpris du
contraste que donne ce petit texte. Un contraste fort entre une foule de
détail, et une sobriété extrême.
Une foule de détail sur
ceux qui sont là d’abord : en passant, durant cette heure tragique on fait
connaissance avec Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus, avec deux bandits, avec
des passants. Et il y a ceux qu’on connait : les grands prêtres et les
scribes. On peut dire qu’il y a du monde autour de la croix – du monde et
chacun est présenté assez précisément : chacun pour ce qu’il est pour ce
qu’il fait.
Détail sur le lieu : nous sommes sur le Golgotha et Marc en souligne l'étymologie : le lieux du Crâne...
Une foule de détail sur
l’attitude de ces gens qui sont là : certains injurient le Christ, ceux-là
se moquent de Jésus, et d’autres encore l’insultent. Trois verbes différents
pour dire globalement la même chose – l’humiliation s’ajoute à la déchéance – Par
la multiplication et la diversité du vocabulaire l’humiliation est soulignée, très
marquée. Non seulement Jésus est condamné à mort, mais il est condamné par tout
le monde. A travers cette multiplication
du vocabulaire s’entend déjà le ps. 22 que le Christ entonnera peu après – vous
savez ce psaume 22 qui commence par Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu
abandonné… Il comporte ces versets : Moi,
je ne suis plus un homme, mais un ver. Outragé par les humains, méprisé par les peuples. Tous ceux qui me regardent se moquent de moi,
Des détails, ce petit
texte en donne aussi sur Jésus – jamais dans l’évangile nous n’avions eu une
telle concentration de titres et d’explications sur qui est Jésus : il est
le roi des juifs, le Christ, le roi d’Israël, il est celui qui a sauvé des
hommes, il est capable de reconstruire le sanctuaire. Oui nous avons là une
foule de détail sur qui est le Christ pour l’évangéliste.
Ce petit texte de la
crucifixion est donc extrêmement précis, contenant nombre de détails et de
particularité. Mais ce texte, en contraste, est aussi très sobre. Une sobriété extrême surprenante, de fait :
l’évangéliste Marc n’utilise qu’un seul mot, un seul verbe pour dire ce qui
arrive à Jésus – il est crucifié. Là aussi il aurait pu varier les
expressions, tant il se répète - mais 5 fois l’évangéliste choisi le même
mot : crucifier.
La liste est longue des
expressions qu’il aurait pu utiliser, vraiment, l’évangéliste aurait eu les
moyens de dire les choses autrement : attaché à la croix, pendu au bois,
cloué sur la croix. Ce sont des expressions connues qui disent la même chose –
mais non : pour dire ce qui arrive à Jésus il n’y a qu’un seul mot :
crucifier – et le même verbe est répété 5 fois.
Ce que ce contraste
donne à entendre, je crois, c’est l’impossibilité de dire ce qui se joue là, à
la troisième heure, au moment de la crucifixion. Le décor est donné avec foule
de détail, mais l’action est décrite dans une sobriété, dans une retenue
extrême. La crucifixion du Christ est un vrai dépouillement, y compris dans sa
description. Si l’agitation autour de la croix peut être détaillée, si
l’attitude du monde autour du Christ peut être nommée avec tous ces détails,
l’essentiel de l’événement échappe au langage – l’évangéliste n’a qu’un seul
mot pour le dire, qu’un seul verbe et du coup il le répète.
Crucifier : l’essentiel
est dit par ce verbe répété.
Crucifier : par
cette répétition se dit ce qui arrive. Le serviteur de Dieu, serviteur
souffrant est mis en croix. Le prophète Esaïe l’annonçait ce serviteur
souffrant : « Son aspect, défiguré, n’était plus celui d’un homme Son apparence n’était plus celle des êtres
humains » annonçait Esaïe (52, 14). Dans cette déchéance, l’image de Dieu se
vide d’elle-même, dans l’abaissement ; « Il s’est abaissé lui-même, en
devenant obéissant jusqu’à la mort » écrira Paul (Phil. 2, 7)
Crucifier : là ce
dit l’humanité défigurée et du coup se dit un Dieu défigurée – moqué, insulté.
Dans l’abaissement au néant, se dit l’amour jusqu’à la fin, la fin de
l’humanité. Dans cet outrage et cette humiliation se dit l’alliance de Dieu
avec l’homme jusqu’au bout de l’humanité de Christ, jusqu’à la fin de notre
humanité pour ouvrir un au-delà.
Crucifier : à
partir de cette crucifixion, de ce crucifiement, disait-on avant, à partir de
cette seule action le lien de Dieu avec l’humain est tel que dans toute femme,
dans tout homme humilié, abaissé, torturé mis à mort nous avons la plus juste
représentation du Dieu vivant. Ce n’est pas évident à entendre : Dieu se
donne à voir, là au milieu des insultes, des quolibets, des moqueries. La croix
est la seule représentation de Dieu que nous avons sur terre. Car oui, celui
qui est sur la croix prétend être Dieu sur terre, et cette prétention sera
confirmée dans quelques versets puisque le voile du sanctuaire sera déchiré du
haut en bas et le centurion le reconnaître fils de Dieu.
En étude biblique ce
jeudi nous débattions de l’importance de la célébration du vendredi saint et de
Pâques. Les réformateurs ont tous affirmé la première importance du vendredi
saint. La première célébration chrétienne, avant Noël, avant Pâques, c’est le
vendredi saint – car il n’y a que là que nous contemplons, en vérité, le visage
de Dieu. Ainsi, être chrétien c’est fondamentalement reconnaître cet homme mis
à mort comme Dieu, reconnaître le Christ comme la plus juste image de Dieu sur
terre – celui qui est maltraité, humilié, crucifié, mis à mort.
Le moine Martin Luther
écrivait ainsi que « la théologie de la croix est la seule vraie
théologie ». la théologie de la croix est la seule vraie théologie :
comprenez qu’à la crucifixion se donne à entendre le seul vrai discours sur
Dieu – un discours qui tient en un seul mot que l’évangéliste répète comme il
peut : crucifier.
Durant ce temps du
carême, oui nous nous tournons vers le vendredi saint et le matin de
Pâques ; ce temps nous permet de faire mémoire du don au-delà de tout don
fait par Dieu en Jésus-Christ, sur la croix. Quand les cantiques anciens nous
chantent que le Christ est mort pour nous, souvenons-nous qu’il est d’abord
mort pour nous montrer qui est Dieu et qui nous sommes.
Notre humanité est
toujours plus prompte à suivre les mouvements de foule, les impulsions du
moment, aveuglée par les puissances de ce monde, voulant sauver les apparences…
au point de ne pas savoir entendre, ne pas savoir reconnaître, là où se dit
l’amour.
Au Christ seul soit la
gloire. Amen.
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