jeudi 8 octobre 2015

Prédication du dimanche 4 octobre

 GENESE, chap. 2, v. 18 à 24 (TOB modifiée) :
18L'Eternel Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » 19L'Eternel Dieu modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu’il amena à l’homme pour voir comment il les désignerait. Tout ce que désigna l’homme avait pour nom « être vivant » ; 20l’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs, mais pour lui-même, l’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. 21L'Eternel Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. 22L'Eternel Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. 23L’homme s’écria : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise. » 24Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

Nous voilà aujourdhui invité à entendre ce mythe de la création dEve, création de la première femme qui intervient après la création dAdam. 

Nous sommes avec ce texte dans la deuxième version de la création. Vous le savez il y a dans nos Bibles deux textes qui font le récit de la création. Le premier, au chapitre 1 de la Genèse, est un texte très poétique, très structuré. Il décrit la création en 6 jours aboutissant au Sabbat. La terre est alors l’œuvre de la parole de lEternel, une création à partir de rien ex-nihilo comme on dit. Une création par la parole de lEternel qui créé et qui bénit. Cest en fait le texte le plus récent de la création. Un texte poétique, peut-être aussi un texte liturgique, marqué par la répétition et le calendrier. 

Vient ensuite dans le livre de la Genèse une autre tradition sur la création. Une tradition beaucoup plus ancienne, beaucoup plus rurale aussi avec les chapitres 2 et 3. Alors Dieu créé le monde à partir de la matière. Alors Dieu est acomme un potier façonnant lhumain, ladam dans la terre. Cest l’étape 1 de la création de lhumain. Puis vient après l’étape 2 la création d’ève, création de la femme cest le texte que nous avons entendu. 

Si je dis quil sagit de mythe cest que nous ne pouvons faire coller les deux traditions pour espérer une reconstitution historique. Les deux textes ne saccordent pas sur un plan historique ils ne disent pas la meme chose, car lessentiel nest pas dans la description. 

Ainsi, en ce qui nous concerne avec le texte entendu aujourdhui, la première tradition dit la création de lhomme et de la femme dun même élan, au même moment : « Dieu créa lhomme à son image, à limage de Dieu il les créa ; mâle et femelle il les créa ». Cest totalement incompatible avec les détails de la deuxième tradition que je viens de lire. Très nettement, dans cette deuxième tradition il y a dabord la création dAdam, puis la création dEve deux étapes bien distinctes. 

La création dans la Bible est un mythe cest dire quil ne sagit pas dun texte qui décrirait une vérité historique, mais cest un texte qui porte une vérité symbolique. Une vérité symbolique, cest dire que le texte ne vient pas décrire comment sest historiquement passé la création, mais bien comment nous pouvons comprendre le monde comme création de Dieu. 

Jen conviens, la difficulté aujourdhui cest que le mot mythe est souvent connoté négativement comme un discours faux. Ainsi un menteur chronique est souvent taxé de mythomanie. Comme si le mythe avait quelque chose à voir avec le mensonge, ou une non-vérité

Alors que le mythe nest pas un discours rationnel qui pourrait dire le vrai ou le faux, mais cest un discours symbolique, un discours qui représente une vérité plus quelle ne la dit. Ainsi lanthropologue Claude Levis-strauss a rapproché le mythe de la musique : "pendant des millénaires, le mythe a été un certain mode de construction intellectuelle... Mais, dans notre civilisation, à une époque qui se situe vers le XVII è, avec le début de la pensée scientifique, le mythe est mort ou, à tout le moins, il a passé à l'arrière-plan comme type de construction intellectuelle. Alors ... la musique a pris en charge certaines des fonctions que le mythe cessait d'assumer." 

Discours de représentation la création peut alors être une musique. On peut penser à la musique de loratorio de Haydn, « La création ».

Le mythe a un lien avec lart en tant quil est une représentation du sens. Levis-strauss le rapprochait de la musique, mais il peut y avoir aussi ce discours en peinture. C'est ce qui m'a fait penser à cette peinture de Chagall dont nous voyons des détails depuis le début du culte (un diaporama accompagnait la liturgie). Un tableau sur le texte de la Genèse qui raconte en dessin la création dEve. 


Cette image se lit de gauche à droite et de haut en bas.
En bas à gauche on voit Adam en position de Yogi qui lève le bras pour faire apparaître son côté ouvert la côte doù est sortie Eve. Eve est au-dessus derrière une nuée blanche et lumineuse symbole de la divinité ; puis en allant vers la droite vous voyez le serpent qui menace le couple prêt à croquer la pomme cette image très riche fourmille de vie : des représentations animales et même dautres représentations humaines...

La création dans la Bible peut donc sentendre comme une création artistique : musique, peinture, et bien dautres. Le discours nest pas alors celui de mots raisonnables pour décrire une vérité rationelle qui sinscrirait dans lhistoire. Mais le texte se fait alors lexpression du ressenti dune relation à Dieu qui sinscrit dans la vie du monde, dans la vie de lhumain, et dans la vie lhomme et la femme.  

Une fois qu'on a dit ça, comment entendre ce discours symbolique ? Comment faire résonner  cette représentation du sens que nous donne le texte de la création dEve que nous avons entendu ? Comme toute œuvre dart il y a une multitude de pistes possibles pour ouvrir le commentaire. 

Je voudrai pour aujourdhui reprendre deux notions qui me semblent traverser le texte, deux idées. 

Il y a dabord la notion de compagnonnage entre l'homme et la femme.  Tout part de la parole de lEternel : « il nest pas bon pour lhomme d’être seul ». Ce compagnonnage peut être compris de manière dévalorisante avec une vision utilitariste de la relation homme femme. Ainsi on peut comprendre quEve na été créé que dans le le but de rompre la solitude dAdam.  Dans lhistoire de linterprétation du texte biblique cette idée a été souvent véhiculée. Mais de tout temps aussi, ce compagnonnage a été valorisé dans la notion du côte à côte de lhomme et de la femme, un côte à côte qui créé une égalité de fait.

Déjà Saint Thomas dAquin, au treizième siècle écrivait ceci : « Si la femme avait été tirée dun os de la tête, elle aurait représenté lorgueil. Si elle avait été tirée dun os du pied, elle aurait été esclave. Elle a été tiré dun os du milieu, donc elle se situe au milieu de l’être humain ». 

Milieu de l’être humain, le côte à côte de lhomme et de la femme, le compagnonnage voulu par Dieu est une relation d’égalité, d’équivalent, de vis-à-vis. Et pour renforcer ce trait fondamental, quand dans le récit Dieu a fini sa création de la femme Adam dit : « voici cette fois los de mes os, et la chair de ma chai, celle-ci on lappellera femme isha en hébreu -  car cest de lhomme ish en hebreu - quelle a été prise ». Isha Ishe en hébreu la différence entre lhomme et la femme nest que dune seule lettre isha, ishe dans la langue hébraïque se dit fondamentalement une équivalence et une égalité.
Compagnonnage, équivalence, égalité entre homme et femme, jinsiste très largement sur ce trait ce trait que lon retrouve dans le tableau de Chagall dans le couple enlacé. Si cest Eve qui tient la pomme dans le tableau comme dans lEcriture elle ne saurait être plus pécheresse que lhomme puisquils sont fondamentalement en relation de côte à côte, de vis-à-vis, d’égalité.
Cette égalité instaurée par Dieu est je crois, encore aujourdhui un combat. Quand bien même le droit des femmes est, ici du moins dans un occident confortable, le droit des femmes est le même que celui des hommes ; nous avons au nom de notre foi, au nom de notre relation à Dieu à dire que rien na à abaisser la femme vis-à-vis de lhomme, que rien ne justifie une dévalorisation religieuse de la femme, rien ne justifie linstrumentalisation de la femme.
Ce texte de la création bien entendu vient dire à lapôtre Paul quil se trompe quand il veut placer la femme en soumission à lhomme. Et ça il nous faut sans cesse y revenir, dans la rencontre dautres traditions religieuses, dautres conceptions culturelles.
Sur Internet jai trouvé la video de cette campagne interreligieuse en Inde un pays ou le droit des femmes est souvent bafoué une video qui circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux :



« toutes les religions protègent les femmes ; protéger les femmes est une religion » dit le slogan. Le viol des femmes en Inde est un vrai problème de justice et de droit. Et il est heureux que les religions s'unissent pour défendre le droit des femmes. 

Egalité dans les relations de lhomme et de la femme cest la première idée que je retiens du récit de la création et la seconde idée dit quelque chose de toute vie humaine tant femme que homme. Cest la notion de sortir de quelque part, ou d’être tiré de quelquun. Ça semble peut être un peu hermétique mais cest je crois quelque chose de peut-être plus fondamental encore que nous dit le texte biblique. 

Pour bien entendre cette idée, le texte nous dit que la femme est tirée de la côte dAdam et aussitôt le récit fait le lien avec « lhomme laissera son père et sa mère pour sattacher à sa femme ». La femme est tirée de la côte, et l'homme doit se tirer de chez ses parents, si vous me passez l'expression. Cest  assez surprenant ce lien entre la création de la femme à partir de lhomme et la séparation de lhomme de son père et sa mère, dautant plus surprenant quAdam - souvenons-nous en - na ni père ni mère dans le récit biblique. 

Le lien est surprenant et pourtant dans les deux cas il y a quelque chose qui se dit dune séparation. La femme est tirée, séparée de lhomme, et lhomme est séparé, tiré de son père et sa mère. Ce que nous dit le texte cest que pour exister il faut accepter une séparation, une coupure, une sortie, mais ce que nous ne sommes nous ne pouvons l’être qu’à partir dautres. 

Exister dailleurs, le mot exister étymologiquement dit que « lon est à partir de » - ex-istere en latin. Lors de sa création Eve existe à partir de lhomme, et lhomme existe à partir de son père et sa mère. Lhumanité est dans une relation de dépendance les uns vis-à-vis des autres. Une dépendance que, je crois, nous avons du mal aujourdhui à valoriser. 

Aujourdhui nous vivons sous lidéologie du self-made-man pour le dire en anglais : cest lidée de réussir sa vie tout seul ne rien devoir à personne, cest lidéal de la construction de soi. Or, le texte biblique nous dit quau contraire, nous ne pouvons vivre quen reconnaissant la dette qui nous lie aux autres. Une dette fondamentale : nous ne pouvons vivre qu’à partir des autres.
Et si je critiquais la vision paulinienne de la relation homme femme, je trouve chez lapôtre Paul un très bel écho de cet endettement, de la dépendance de toute  lhumanité. Dans l’épître aux Romains, quand il écrit : « Nayez aucune dette les uns envers les autres, si ce nest de vous aimer les uns les autres » - parler damour en terme de dette ma toujours paru étonnant. Mais ce que vient dire le texte de la création cest que toute vie est endettée de vies lui précédant. 

Nous voici aujourdhui invités à entendre le mythe de la création dEve, plus quun discours rationnel, plus quun récit historique ; le mythe est une œuvre dart : poème, musique, représentation. Le mythe porte en lui-même plus quil ne raconte. Jai choisi pour ce dimanche deux notions : l’égalité homme-femme dite dans le côte à côte dAdam et Eve, et la dépendance de toute existence, dépendance de toute vie à l’égard de la vie des autres. Une dette, une dépendance dans lamour dite dans la sortie dEve du côté dAdam et dans le fait que tout homme quittera son père et sa mère.  

Ces deux idées ne limitent pas le texte, il y aurait pu en avoir bien dautres dautres idées par lesquelles nous pouvons essayer de traduire la bonne nouvelle de Dieu. Une Bonne Nouvelle qui nous invite dans cette vie et dans ce monde, à compter sur lui pour vivre damour.
Ces deux idées ne limitent pas le texte car cette création est une ouverture, une ouverture absolue à l'espérance.
Dans cette ouverture que nous sachions vivre le courage de la foi, de l'amour et de l'espérance. Amen.

mardi 30 juin 2015

Liturgie du temps de l'église

Je mets en ligne 5 suites liturgiques qui me servent de trame pour les cultes de ce temps de l'église 2015... vous les trouvez en cliquant ici

jeudi 18 juin 2015

De l'église multitudiniste...

Cette prédication a été donnée à l'église évangélique de Pentecôte de Béziers, ce 16 juin 2015 à l'invitation des pasteurs de cette communauté j'ai été invité à entretenir cette communauté sur le thème de l'église multitudiniste et ce pendant 40 minutes... ce qui explique la longueur inhabituelle de ce texte. 
Bien chères soeurs, bien cher frères, 
D’abord vous dire que je suis heureux d’avoir pu répondre à l’invitation de vos pasteurs. Je suis très heureux d’être là – bien que je sois un tout petit peu embarrassé. Je suis embarrassé parce que non seulement vos pasteurs m’ont invité ce qui me réjouit mais embarrassé parce que vos pasteurs m’ont demandé de prêcher sur le thème de l’église multitudiniste – or je ne suis pas sûr que mon église soit multitudiniste, je ne suis pas sûr qu’aucune église le soit en vérité. Mais bon ce préalable étant posé je vous propose d’entendre deux passages de la lettre de Paul aux Romains, deux passages un peu long qui se sont imposés à moi en préparant ce message.

Le premier passage ce trouve au chapitre 2 de la lettre de Paul aux Romains, les 11 premiers versets de ce chapitre 2. Nous sommes au début de la lettre, au commencement de déploiement de Paul.

Romains, chap. 2 , v. 1 à 11
1Tu es donc inexcusable, toi qui juges, qui que tu sois ; en jugeant l'autre, en effet, tu te condamnes toi-même, puisque, toi qui juges, tu pratiques les mêmes choses. 2Or nous savons que le jugement de Dieu contre ceux qui pratiquent de telles choses est conforme à la vérité. 3Comptes-tu donc, toi qui juges ceux qui pratiquent de telles choses et qui les fais toi-même, échapper au jugement de Dieu ? 4Ou bien méprises-tu la richesse de sa bonté, de sa tolérance et de sa patience, faute de reconnaître que la bonté de Dieu doit te conduire à un changement radical ? 5Par ton obstination, parce que ton cœur se refuse à changer radicalement, tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la révélation du juste jugement de Dieu, 6qui rendra à chacun selon ses œuvres : 7vie éternelle à ceux qui, par leur persévérance dans une œuvre bonne, cherchent la gloire, l'honneur et l'impérissable ; 8colère et fureur à ceux qui, par ambition personnelle, sont réfractaires à la vérité et se laissent persuader par l'injustice. 9Détresse et angoisse pour tout homme qui produit le mal, pour le Juif d'abord, mais aussi pour le Grec ! 10Gloire, honneur et paix pour quiconque œuvre au bien, pour le Juif d'abord, mais aussi pour le Grec ! 11Car il n'y a pas de partialité chez Dieu.

Et l’autre texte qui s’est imposé à moi se trouve à la fin de la lettre aux Romains, au chapitre 14, deux chapitres avant la conclusion de l’écrit – au chapitre 14, les v. 1 à 12 :

Romains, chap. 14
1Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans discrimination d'opinions. 2Tel a la foi pour manger de tout ; tel autre, qui est faible, ne mange que des légumes. 3Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l'a accueilli. 4Qui es-tu, toi, pour juger le domestique d'autrui ? Qu'il tienne debout ou qu'il tombe, cela regarde son maître. Et il tiendra, car le Seigneur a le pouvoir de le faire tenir.
5Tel juge, en effet, un jour supérieur à un autre ; tel autre les juge tous égaux. Que chacun, dans sa propre intelligence, soit animé d'une pleine conviction ! 6Celui qui tient compte des jours en tient compte pour le Seigneur. Celui qui mange, c'est pour le Seigneur qu'il mange, car il rend grâce à Dieu ; celui qui ne mange pas, c'est pour le Seigneur qu'il ne mange pas : il rend aussi grâce à Dieu. 7En effet, aucun de nous ne vit pour lui-même, et aucun ne meurt pour lui-même. 8Car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons donc au Seigneur. 9Car si le Christ est mort et a repris vie, c'est pour être le Seigneur des morts et des vivants.
10Dès lors, toi, pourquoi juges-tu ton frère ? Ou bien, toi, pourquoi méprises-tu ton frère ? Tous, en effet, nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu. 11Car il est écrit :
Par ma vie, dit le Seigneur, tout genou fléchira devant moi
et toute langue reconnaîtra Dieu !
12Ainsi donc, chacun de nous rendra compte à Dieu pour lui-même.

Ces deux textes qui se trouvent de part et d'autre de la lettre de Paul aux Romains, ne parlent pas directement de l'église multitudiniste mais ils parlent de jugement. Du coup, il me semble qu'entendre ces textes aujourd'hui permettra de faire résonner l'évangile, d'entendre une bonne nouvelle qui nous parle de l'église, mais qui nous parle aussi de notre relation à Dieu, de nos relations entre frères et sœurs.

Car parler d'église n'a de sens que si cette parole s'enracine dans une parole de foi, parler d'église ce n'est pas tant faire de la belle théologie, que de mettre des mots sur comment nous vivons ensemble la foi chrétienne, comme nous partageons ensemble de nos convictions et de nos certitudes, comment Christ est vivant au milieu de nous, aujourd'hui.

Alors parler d'église, et d'église multitudiniste, peut-être faut-il avant tout que je définisse cette église multitudiniste. Alors je suis aller chercher une définition du multitudinisme sur Wikipedia – le dictionnaire sur Internet. Et ce dictionnaire dit ceci : Le multitudinisme désigne, dans sa principale acception, l'attitude et le statut d'une Église protestante qui se donne pour mission de s'occuper spirituellement de l'ensemble d'une population sans que celle-ci n'en soit forcément membre. C'est le principe d'une Église ouverte à tous, même sans religion d'État.

Pour bien comprendre, une église aujourd'hui est donc dite multitudiniste quand elle n'est pas une église de confessants. La nuance est entre multitudiniste et confessant. Une église multitudiniste c'est donc une église qui est ouverte de manière large, de manière telle que l'on ne sait pas bien combien cette église a de membres. Une église de confessants est une église dont ne sont membres que celles et ceux qui ont adhéré à la confession de foi, celles et ceux qui ont été reconnus comme membre.

Cette ouverture renvoi il me semble à une vision de l'église fidèle à la réforme. Ainsi on peut se souvenir ici que Calvin, le réformateur du XVIeme siècle, à la lecture des écritures distinguait l'église visible de l'église invisible. Pour lui, les croyants avaient à gérer l'église visible, qui n'était qu'une partie de la vraie église de Dieu qui était l'église invisible – une église dont Dieu seul connaissait les membres.

Je vous le disais, ce que je dis ici sur l'église n'est pas qu'un discours théorique ; il s'incarne dans un vécu de foi. Derrière se trace la question de qui est mon frère, qui est ma sœur, en Christ ? Avec qui ai-je à être en communion ? Avec qui puis-je partager la prière, la lecture des Ecritures, une vie de foi ? Faut-il avoir les mêmes convictions pour faire église ensemble ?

En fait derrière la question entre église de multitude et l'église de confessant, derrière se trace ici la question du critère : qu'est-ce qui fait que l'autre est ma sœur, mon frère en Christ ? Quel est le critère pour une vie d'église ensemble ? Quel est le critère et donc qui en est juge - qui est-ce qui décide de qui est dans les clous et qui n'y est pas ? Qui définit qui est dans l'église et qui n'y est pas ?

Vous percevez peut-être pourquoi j'ai lu les deux passages de la lettre de Paul aux Romains. Deux textes qui parlent de jugement, du jugement de Dieu, du jugement que nous posons entre nous, frères et sœurs, sur les uns ou sur les autres.

Que viennent dire ces textes ? Je crois que ces textes viennent d'abord dénoncer notre système de pensée, notre manière de voir les choses. Nous fondons notre visions de l'église sur la séparation et sur la division – le jugement est notre mode de pensée le plus facile, le plus quotidien, le plus courant, même quand nous sommes profondément croyant.

Alors ce jugement il n'est pas forcément une parole de condamnation que nous posons sur les uns et les autres, mais c'est une réalité plus insidieuse. Paul parle de discrimination d'opinons. Tous nous pensons le monde en le divisant. Prenez les relations humaines : il y a les notres et les autres, il y a les amis, les voisins, et les autres, il y à les membres de ma communauté et les autres, il y a les convertis et les autres, il y a celles et ceux qui sont né de nouveau et les autres, nous sommes toujours à tracer des frontières entre un dedans et un dehors, entre les prochains et les lointains et quand nous traçons ses frontières, nous nous plaçons toujours dedans.

Ces structurations de nos liens, de nos rapports aux autres, de nos relations amicales, familiales ou ecclésiales, c'est aussi notre manière de voir le monde, plus globalement : pour certains il y a l'occident et le reste du monde, pour d'autres encore il y a les pays du nord de la méditerranée et les pays du sud ; vous voyez ce que je veux dire – quelque soit le critère que nous prenons : la taille, les cheveux, le tour de ventre, ou le prénom, chacun peut prendre le critère qu'il souhaite, nous avons l'embaras du choix. Et nous avons l’embarras du choix car en fait nous pensons, tous, l'humanité en division et en opposition, voire en concurrence, nous pensons notre humanité en posant sur elle un jugement ou un autre.

Par rapport à cette manière de voir, ce souvenir que Dieu seul est juge, nous donne une très belle liberté. La liberté de l'évangile.

Vous connaissez sans doute ce passage de la lettre aux Galates : « Car vous êtes tous, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ. En effet, vous tous qui avez reçu le baptême du Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ. Et si vous appartenez au Christ, alors vous êtes la descendance d'Abraham, héritiers selon la promesse. »

Paul reprend les divisions de son temps : entre juifs et grecs, entre l'esclave et l'homme libre – toujours le même système de division, de jugement et de séparation qui traverse les siècles. Or, la liberté que Dieu nous donne veut et qui veut nous extraire de ce système de jugement et donc de peur. La liberté que Dieu nous donne se fonde sur une unité : nous sommes tous enfant de Dieu : que nous soyons hommes ou femmes, que nous soyons de la même famille ou pas, que nous habitions en Europe ou en Syrie, ou au Népal ; au nord ou au sud de la méditerranée ; que nous soyons grand, gros, maigres, chevelu ou chauve, que nous nous appelions Frédéric, Pierre, Abraham ou Mohamed

Devant Dieu, ce qui fait notre humanité ce ne sont pas nos différences ou nos particularisme, ce qui fait notre humanité c'est le point commun d'être enfant de Dieu, d'être héritier de la promesse et d'attendre un jugement que Dieu posera un jour sur nous, et qu'il posera par amour pour nous – c'est le point commun qui est dit par Paul : nous sommes tous fils et filles de Dieu, par la foi. Là se fonde notre liberté : nous n'avons pas à cloisonner nos vies et à passer notre temps à nous juger les uns les autres.

Dieu nous veut libre, sans limites, sans frontières, sans barrières, prêt à rencontrer l'autre quel qu'il soit, quelque soit sa manière de manger écrit Paul, quelque soit sa manière de vivre.

Ne pas penser notre humanité en terme de différence mais en terme d'unité, dans la lettre aux Romains que j'ai retenu pour aujourd'hui, Paul l'écrivait avec ses mots :
Aucun de nous ne vit pour lui-même, et aucun ne meurt pour lui-même. 8Car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons donc au Seigneur.

Nous appartenons au Seigneur, et lui-seul est juge de qui lui appartient.

Alors, avec cette compréhension du jugement laissé à Dieu seul pour notre liberté, il faut encore répondre à la question de qui est mon frère, qui est ma sœur, en Christ ? Avec qui ai-je à être en communion ? Avec qui puis-je partager la prière, la lecture des Ecritures, avec qui puis-je vivre une vie de foi ? Ou je disais tout à l'heure : Faut-il avoir les mêmes convictions pour faire église ensemble, pour vivre ensemble en église ?

Remettre le jugement de Dieu pour entrer dans la liberté des enfants de Dieu revient à nous regarder les uns les autres comme des héritiers. C'est dire que notre fraternité n'est pas quelque chose à construire, mais c'est une fraternité à recevoir de Dieu. Mes frères et sœurs en Christ ne sont pas ceux que je reconnais comme tel, mais ceux que Dieu me donne, comme étant également liés par la promesse faite à Abraham.

Peut-être vous souvenez vous d'un passage dans l'évangile selon Matthieu dans lequel le Christ Jésus répond à la question qui sont mes frères ?
C'est au chapitre 12 de l'évangile, à partir du v. 46, Jésus est au milieu de la foule à enseigner, et arrivent ses frères et sa mère alors dit le texte biblique « Quelqu'un lui dit : Ta mère et tes frères se tiennent dehors, et ils cherchent à te parler. Mais il répondit à celui qui le lui disait : Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? Puis il étendit la main sur ses disciples et dit : Voici ma mère et mes frères ! En effet, quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère. »

jésus dit bien « quiconque fait la volonté de mon Père », il ne dit pas comme il peut le dire à d'autres moments dans l'évangile « quiconque fait ma volonté », ou bien "il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur", mais là il renvoi à Dieu « quiconque fait la volonté de mon Père », même pour Jésus Dieu seul demeure juge de qui sont ses frères, ses sœurs ou sa mère. La fraternité n'est pas quelque chose que nous avons à vouloir, ou à décider, c'est quelque chose qui nous est donné et qu'il nous faut recevoir : tous frères et sœurs, dans la même humanité, dans la même place face à Dieu.

Oui, là encore, il faut accepter de laisser le jugement à Dieu, s'en remettre au Père pour se laisser gagner, une fois encore par la liberté des enfants de Dieu.

Etre enfant de Dieu c'est d'abord reconnaître que nous n'avons pas à être des super-man de la foi, les super-héros de l'église, des croyants bien propre sur eux – nous sommes un en Jésus-Christ - accueillis et adoptés par Dieu nous sommes ses enfants, sans condition. La dynamique de l'évangile veut que cette image du Dieu père aimant prenne le pas sur toutes les images de jugements et de peur. Au fondement de la relation à Dieu, il y l'amour pour nous, et la liberté qu'il nous donne. 
 
Oui, être de la descendance d'Abraham c'est nous reconnaître comme marchant à la suite du patriarche. Abraham qui a quitté son pays animé par la promesse de Dieu d'une terre promise et d'une descendance. Etre animé par la même promesse - marchant sur le chemin de la promesse de Dieu – Dieu nous veut libre, sans limites, sans frontières, sans barrières, prets à rencontrer tout autre croyant sur le chemin, et le reconnaître, la reconnaître comme frère, comme sœur.

Cette ouverture à l'universel vient donc dire que l'église n'est pas l'assemblée de celles et ceux qui pensent la même chose, pas même de celles et ceux qui comprennent de la même manière le texte biblique, mais l'église est l'assemblée de celles et ceux qui sont concernés par la promesse de vie de l'évangile, et qui veulent traduire la promesse de la bonne nouvelle dans leur vie.

Derrière cette ouverture se trace entre autre l'affirmation du sacerdoce universel, chaque croyant, chaque converti, chaque baptisé est appelé à participer à la mission de l'évangile, à la mission de Dieu. En ce sens j'aime beaucoup la parole de l'apôtre Pierre dans les actes des apôtres, quand Pierre enseigne après la pentecôte, il appelle à la conversion et il dit : « car la promesse est pour vous, pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur, notre Dieu les appellera » - c'est le v. 39 du chap. 2 des actes des apôtres.

Nous sommes tous enfants de Dieu, au près comme au loin : prochain comme lointain – nous ne sommes pas juge de qui peut l'être ; Dieu seul, auteur de la promesse, sait qui il a appelé, qui il appelle et qui il appellera.

Ainsi, pour prendre un exemple j'ai beaucoup de mal personnellement avec la vision ou l'image du pasteur que l'on peut avoir dans l'église ou ailleurs. Oui, j'ai toujours beaucoup de mal, dans les relations œcuménique avec les membres de l'église catholique quand ils sont embarrassés et quand ils ne savent pas comment s'adresser à un pasteur et qu'ils me disent « mon père », surtout que ce sont souvent des gens qui auraient l'âge d'être mon père ou plus...

Rien dans l'église ne doit nous placer à distance de la fraternité, et ce que je dis du rapport aux catholiques se trouve aussi dans les images pastorales traditionnelles – pour donner un deuxième écho à cet exemple : ne parle-t-on pas dans nos églises évangéliques et protestantes du pasteur comme du « berger du troupeau » ? Derrière cette image il y a l'idée que le ministère qui est un service, serait aussi une distinction. Chaque fois que j'entends cette image, du pasteur, berger, j'aime me rappeler que Calvin non sans humour à plusieurs reprise rappelait que le seul berger c'est Christ et que les pasteurs si ils voulaient se distinguer des brebis n'avaient qu'à se prendre pour des chiens ! C'est dire que les pasteurs comme tous les membres de l'église appartiennent au même troupeau, un troupeau que Dieu seul appelle, et que Dieu seul connaît, les pasteur n'ont pas à s'en distinguer.

Vous me permettrez de reprendre le fil de ma pensée par rapport au sujet qui m'était proposé de l'église multitudiniste, car le sacerdoce universel est un écho à cette ouverture mais je ne voudrai pas m'y perdre : 
 
A partir de l'évangile, de la bonne nouvelle qui résonne dans la lettre aux Romains, nous sommes invités à remettre le jugement à Dieu seul, nous départir d'une logique de séparation et de jugement, faire de chaque homme, chaque femme : un frère, une sœur. Cette bonne nouvelle nous libère, elle nous fait sortir de la logique de concurrence et de concours du monde. Mais elle nous place aussi sous une grande exigence : dire que nous ne sommes pas maître de qui est dans l'église de Dieu et qui est dehors, car par définition c'est l'église de Dieu avant d'être notre communauté, c'est dire qu'il nous faut savoir accueillir tout être humain comme un frère en Christ, car tous nous appartenons au Seigneur, et il est seul juge de nos vies.

Alors nous nous situons réellement comme enfants, fils et filles, du Père, alors la promesse d'Abraham est pour nous, nous en sommes les héritiers, pour nous et pour tous ceux qui sont au loin.

Dire que l'église est l'assemblée des femmes et des hommes concernés par la promesse de Dieu ouvre l'église à demain. J'espère que vous l'entendez, cette vision de l'église comme étant d'abord l'église de Dieu ouvre à l'avenir, ou l'espérance ; car elle nous place sous le souffle de l'esprit, elle nous place dans le dynamisme créateur de Dieu.

Je le disais en commençant parler d'église n'a de sens que si cette parole s'enracine dans une parole de foi, une parole qui trace un chemin au-delà de l'église. J'aime la formule qui dit que « Jésus a annoncé le royaume, mais c'est l'église qui est venue ». L'église n'est pas une fin en soi, nos assemblées doivent orienter vers l'espérance qui traverse le texte biblique pour nous dire que dans ce monde doit surgir le royaume du Père. Chrétiens nous avons a être fidèle à demain bien plus qu'à hier.

Même si nous nous enracinons dans l'évangile, dans une bonne nouvelle d'il y a 2000 ans, croyants nous n'avons pas le droit d'être nostalgiques, d'être enfermés dans la contemplation du passé, dans le maintient d'une tradition ; au nom de tout l’Évangile, il nous faut être porteur d'une parole de résurrection et d'espérance. C'est vrai partout, dans l’Église comme dans le monde. Mais c'est vrai surtout là où les crispations voudraient enfermer les paroles, les actions et les espérances sous les verrous de la peur et de la pensée unique.

Dans l'église, ces crispations idéologiques sont de l'ordre du traditionalisme ou bien de la lecture fondamentaliste des écritures. Ce qui s'entend dans l'église se voit aussi dans le monde, alors ces crispations sur la pensée unique sont de l'ordre du populisme et du totalitarisme.
Depuis l'évangile, depuis Pâques, l'ascension et pentecôte celui qui croit n'a pas à être le gardien d'un passé, mais il doit être au présent témoin d'une rencontre à venir, témoin d'espérance. Croyants nous n'avons pas le droit d'être nostalgiques, d'être enfermés dans la contemplation du passé, dans le maintient d'une tradition ; au nom de tout l'Evangile, il nous faut être porteur d'une parole de résurrection et d'espérance – une parole qui témoigne encore de l'amour de Dieu, une parole qui témoigne d'une ouverture au monde sans limite

Je terminerai avec une citation de Martin Luther, j'ai commencé par parler de Calvin et de l'église invisible, je termine avec Luther comme ça vous avez vraiment une prédication luthero-réformée, d'un pasteur de l'église unie – communion luthérienne et réformée.

Luther écrivait ceci dans sa préface à sa traduction au Nouveau Testament : Tel est, vois-tu, l’Évangile correctement reconnu, c'est la bonté débordante de Dieu qu'aucun prophète, aucun apôtre, aucun ange n'a jamais pu exprimer entièrement, qu'aucun cœur n'a jamais pu suffisamment admirer et comprendre ; c'est le grand feu de l'amour de Dieu pour nous, voilà ce qui rend le cœur et la conscience joyeux, ce qui les remplit d'assurance et les comble ; voilà ce que veut dire prêcher la foi chrétienne.

Le grand feu de l'amour de Dieu – j'ai la conviction que nous n'avons pas le droit d'y mettre une limite, quelque soit la manière dont brule cet amour, comme une braise sous la cendre, comme un charbon ardent, ou comme la flamme d'une bougie, ou celle d'un incendie ; Ce feu, quelque soit sa taille, quelque soit sa forme, quelque soit ses flammes, ce feu brûle sans autre condition que le jugement de Dieu, que par sa volonté.

"Sans condition", il est parfois difficile d'entendre ces mots tant nous vivons dans un monde de concurrence et de classement. Tant nos vies sont enfermées dans des logiques de rentabilité et de profit. Il faut tout réussir – réussir sa vie, réussir sa conversion, réussir sa prédication. Demain des milliers de Lycéens devront réussir le bac – peut-être certains membre de votre communauté sont ils dans ces jours sous la pression de cette réussite obligée. Si cette réussite a du sens dans le monde, si il faut bien se battre pour construire sa vie, dans l'église, ici, à l'écoute de la parole de Dieu, tout ça n'a aucun sens, tout ça est insensé.

Ce que vient dire le l'évangile c'est justement que Dieu nous aime sans condition, l'amour nous est donné au départ de nos vies et finalement, peu importe ce que nous en faisons. La vie n'est pas un concours qu'il nous faudrait réussir pour être justes devant Dieu, et pour être aimé de Dieu. Comprenez bien que je ne dis pas ça pour donner un argument aux futurs bacheliers pour arrêter leur travail : si nous vivons dans le monde, il faut bien participer à sa course – mais on peut participer à la course du monde tout en sachant que là n'est pas l'essentiel devant Dieu.

Car , dans la relation à Dieu, ce que nous dit l'évangile, ce qui conditionne l'amour de Dieu, ce pourquoi Dieu nous aime, ce n'est pas nous, mais c'est Lui. Nous ne sommes pas la condition à son amour, cette condition est en Dieu seule. Dans la première lettre de Jean c'est dit très clairement au chapitre 4 : « l'amour de Dieu consiste en ceci : en ce que Dieu nous a aimé le premier. » la source de l'amour n'est pas en nous, mais en Dieu, et il nous faut accepter de le recevoir, prendre conscience que nous en sommes héritiers. Un héritage n'est jamais la récompense d'un effort, le résultat d'une action ou quelque chose de mérité. Un héritage c'est ce que je reçois quand je suis dans un lien de filiation et peu importe ce que j'en fait.

Sortir d'une logique de jugement pour regarder l'autre quel qu'il soit comme un enfant de Dieu, recevoir l'autre comme un frère et ne pas avoir décider de qui l'est ou qui ne l'est pas. 
La liberté des enfants de Dieu est d'abord une grande exigence, l'exigence de tenir nos portes ouvertes contre les vents du jugements et des particularismes, une exigence à l'humilité en nous plaçant au service de la Parole du Christ, maître des Écritures, qui nous appelle à aimer.  
Cette liberté et cette exigence sont encore nécessaire à entendre dans l'église et pour notre monde et notre société qui évolue encore comme si Dieu n'existait plus, ou comme si il dictait ses volontés à travers les fondamentalistes de toutes religions. Notre monde et notre société ont encore besoin d'entendre une parole qui nous fasse sortir des logiques d'exclusions, de jugements, de haine, de concurrence ou de rivalité. Oui, nous avons tous besoin d'entendre une parole d'amour, bonne nouvelle pour aujourd'hui. 

Je vous invite à la prière : 
Père saint et juste, toi seul est saint et juste.
Tu connais nos communautés, nos églises qui sont d'abord TON Eglise, 
Renouvelle en nous ton Saint Esprit, et qu'il nous maintienne en communion les uns avec les autres et avec Toi. 
Dans cette communion, tu donnes à chacun de vivre la liberté des enfants de Dieu,
Par cette communion, tu traces sur le monde, le chemin de ton royaume. 
Donne-nous de savoir être fidèle à ton alliance de vie et d'amour, 
Et fais de nous des témoins pour l'honneur de ton nom 
En ouvrant les portes de nos communautés à tous nos frères et soeurs en humanité, 
Maintiens nous dans l'amour révélé pour nous, dans le Christ Jésus. Amen.  



lundi 11 mai 2015

De l'autorité des Ecritures... reprise au goût du jour !

En septembre, je réagissais à un article de Nicole Deheuvels qui affirmait que le débat synodal sur la bénédiction et notamment quant aux bénédictions des couples de même sexe remettait en cause le Sola Scriptura. Elle écrivait "Aucun texte biblique ne venant soutenir positivement le projet de couple homosexuel, discréditer les textes qui en parlent de façon négative sous le prétexte d'une contextualisation revient à s'affranchir de la Bible comme référence. C'est ce pas là qu'une Église née de la Réforme et du Sola scriptura s’apprêterait à franchir". Je renvoyais alors cette collègue pasteur et soeur en Christ à l'exemple du ministère féminin que notre Église a accepté quand bien même : "aucun texte biblique" ne venait "soutenir positivement le projet"

Aujourd'hui je publie à nouveau un post sur le sujet, car quelques questions m'ont été posées par rapport à mon article précédent sur la bénédiction - ma réponse à Gilles Boucomont. J'entends donc clarifier ma compréhension du Sola Scriptura sans vouloir l'imposer comme universelle. Pour moi, proclamer l'autorité souveraine des Écritures en matière de foi revient à nous placer dans une obligation de répondre.

Une obligation de répondre : En tant que croyant, la foi nous place continuellement en tension entre ce que nous vivons et ce que nous croyons ; d'autres ont dit ça mieux que moi - c'est la tension entre le "déjà là" et le "pas encore", ou dite autrement c'est la tension entre "l'ordre de la création" et "l'ordre du salut". Cette tension est obligée puisque nous n'avons pas d'autres mondes que le nôtre pour vivre avec Dieu, la foi ne nous projette pas dans un ailleurs qui serait un "avec Dieu" pour ne plus être un "dans ce monde". Du coup, le Sola Scriptura revient à tenir la tension, à relever le défi d'être et "avec Dieu" et "dans ce monde", à ne pas renoncer à la richesse d'entendre et de dire la bonne nouvelle pour aujourd'hui. En tant que "dans ce monde" nous avons obligation à répondre de la Parole que nous entendons de Dieu, et comme étant avec Dieu il nous faut répondre aux questions de sens que peut poser le monde en renvoyant à cette Parole : voilà notre obligation de répondre.

Pour reprendre les catégories classiques (telles que les développe par ex. André Birmelé dans l'horizon de la grâce, cité dans un article précédent) : Oui l’Écriture est suffisante pour nourrir notre foi, oui l’Écriture est son propre interprète et personne d'autre que l’Éternel ne peut nous dicter son sens, oui l’Écriture est la seule norme de tout discours chrétien - mais si l’Écriture est nourriture, interprète et norme ce n'est pas pour nous faire vivre en dehors du monde. Au contraire, la révélation de la bonne nouvelle transmise par les Écriture vient nous permettre de tenir dans ce monde, avec Dieu.

Aujourd'hui le monde nous interroge : j'ai accompagné un couple de personnes de même sexe en m'en tenant au discours de l'église, en refusant de construire une cérémonie et en expliquant notre démarche. Non sans heurts intérieurs pour moi, dans mon ministère pastoral, comme au sein du conseil presbytéral lorsque nous en avons débattu. Il ne s'agissait plus alors de savoir si on était pour ou contre un sujet synodal mais bien de savoir si notre église accompagnait une telle et une telle dans leurs chemins de vies. Lors d'une rencontre avec elles, j'ai assumé ce "non" et je l'assume encore. ça a été ma réponse, car mon Église ne me donnait pas les moyens de répondre autrement. Cette rencontre avec ce couple a été la dernière, et quand il m'arrive de croiser l'une ou l'autre dans le quartier les regards sont fuyants. C'est ma seule expérience, je n'en suis pas fier ; pas plus que la présidente du conseil presbytéral d'alors. Compte tenu des statistiques (10.000 mariages sur 241.000 en 2014 soit 4, 15 %) on peut penser que si je continue à préparer 6 ou 7 bénédictions par ans et en supposant que chaque couple de même sexe, marié civilement, demande à notre Église une bénédiction de son union (hum...) je n'aurai pas d'autres demandes avant 15 ans ! 

Aujourd'hui le monde nous interroge ; certains préfèrent dire que la question est mal posée, que nous devons encore réfléchir, que le débat a été biaisé, d'aucuns réclament une démarche conciliaire, et j'en passe... autant de manières de na pas répondre. Affirmer l'autorité souveraine des Écritures nous confronte aujourd'hui à une obligation de répondre. Répondre non pas au nom d'une anthropologie, d'une identité, d'une morale, d'une option politique, mais au nom de l’Écriture et de la bonne nouvelle dont elle témoigne...

"L'essentiel et le fondement de l’Évangile, c'est qu'avant de le prendre comme exemple tu acceptes et reconnaisses le Christ comme un don et un cadeau qui t'est donné par Dieu et qui t'est donné en propre. Ainsi lorsque tu regardes à lui, ou que tu entends dire qu'il fait ou endure quelque chose, tu ne douteras pas que le Christ lui-même est tien par cette action et par cette souffrance, et tu placeras en cela autant de confiance que si c'était toi qui l'avait accompli, et même si tu étais le Christ en personne. Tel est, vois-tu, l’Évangile correctement reconnu, c'est la bonté débordante de Dieu qu'aucun prophète, aucun apôtre, aucun ange n'a jamais pu exprimé entièrement, qu'aucun cœur n'a jamais pu suffisamment admirer et comprendre ; c'est le grand feu de l'amour de Dieu pour nous, voilà ce qui rend le cœur et la conscience joyeux, ce qui les remplit d'assurance et les comble ; voilà ce que veut dire prêcher la foi chrétienne"
Martin Luther, 
Brève instruction sur ce qu'on doit chercher dans les évangiles et ce qu'il faut en attendre, 
in Oeuvres I, Paris, Gallimard, col. bib. de la Pléiade, p. 1039

jeudi 7 mai 2015

Bénir c'est dire du bien - réponse à Gilles Boucomont

Dans un post récent sur ton blog « au nom de Jésus », mon frère, tu t’amuses à tourner en ridicule l’étymologie du verbe bénir, en renvoyant à l’imaginaire, ou à la création de sens, la signification de « dire du bien ». Ce faisant, c’est toi qui tourne au ridicule et qui t’adonne à l’imaginaire : j’en veux pour preuve ce que dit le dictionnaire Trésor de la langue française – ouvrage que l'on ne peut soupçonner de prendre parti dans le débat d’église actuel : « Du lat. benedicere + datif « dire du bien de qqn » (Plaute, dans TLL s.v., 1867, 30) d'où « louer » (Apulée, ibid., 41) d'où en lat. chrét. « louer Dieu, lui rendre gloire » (Itala, ibid., 43), puis « répandre ses bienfaits sur qqn (en parlant de Dieu) » » Bénir c’est donc d’abord, depuis Plaute, dire du bien de quelqu’un et ce n’est que partant de là que les théologiens ont fait des création de sens : qui est menteur ?  

Je te renvoie cette accusation de mensonge que tu formules, mon frère, d’autant que tu m’opposeras sans doute, dans la droite ligne de ton article, le livre de la Genèse du moins la lecture qu tu en fais. Seulement cette lecture est somme toute très partielle et très dangereuse à vouloir dire « le bien de Dieu ». 

En effet, à lire un peu plus que le chapitre 1 de la genèse, le seul qui dans ce texte biblique, pense que l’homme et la femme soient appelés à dire le bien du point de vue de Dieu, c’est au chap. 3, le serpent : « Non, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serrez comme des dieux possédant la connaissance du bien (le fameux Tov – de la création)  et du mal ».  Vouloir dire le bien de Dieu ou vouloir le connaître, depuis la fausse parole du serpent de la Genèse, même avec une Bible à la main, c’est la définition du péché. 

Le texte biblique nous prévient : nous n’avons pas à nous prendre pour Dieu ! Même quand nous bénissons en son nom, nous ne sommes pas Lui ! Quand bien même nous soyons créé à l'image de Dieu - la bénédiction est de l'ordre d'une parole pas d'une image... Et même en faisant un peu de théologie à partir de ce chapitre 1 de la Genèse, l’argument de l’imago dei ne tient pas  – l’image du Dieu vivant n’est pas plus comme tu l'écris dans l’humain différencié sexuellement qu'en Christ ; là où il n’y a plus l’homme et la femme et où prévaut le statut d’enfants de Dieu. 

Alors finalement, la conclusion de ton article est bien gentille – dans la droite ligne de la théologie morale catholique avec de belles images et peu de parole - mais pour ma part, je ne pense pas que les unions bénies par l’Église viennent "d’avant l’humain", et iront "après elles" ; je ne pense pas "qu’elles tiennent à la beauté et à la bonté de Dieu" ce n'est écrit nul part dans le texte biblique et... je n’y crois pas.

Au nom des violences faites aux femmes, 
au nom des enfants maltraités, 
au nom des couples où l'un(e) est sous la coupe de l'autre, 
au nom des familles où la parole est impossible – car nous bénissons tout cela et bien plus sans pouvoir le savoir : la beauté et la bonté de Dieu ne nous appartiennent pas ! 

Oui, une fois de plus : mêmes mariés, et même bénis, nous restons tous "de pauvres pécheurs, enclins au mal et incapables par nous-mêmes de faire le bien" disait... un affreux libéral ? Alors je ne pense pas bénir légèrement - ce jugement sentimental est facile mais il n'est fondé sur rien - j'ose croire que la bénédiction nous invite à relever le combat de l’amour et que dans ce combat Dieu est avec nous – que nous soyons hétérosexuels ou homosexuels. Plutôt qu'une connaissance fantasmée du "bien de Dieu", c’est là pour moi la bonne nouvelle de l’évangile et la seule source de la bénédiction : pécheurs nous sommes aimés de Dieu et nous sommes invités à dire du bien - du simple bien - en son nom.