18L'Eternel Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » 19L'Eternel Dieu modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu’il amena à l’homme pour voir comment il les désignerait. Tout ce que désigna l’homme avait pour nom « être vivant » ; 20l’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs, mais pour lui-même, l’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. 21L'Eternel Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. 22L'Eternel Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. 23L’homme s’écria : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise. » 24Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair.
Nous voilà aujourd’hui invité à
entendre ce mythe
de la création d’Eve, création de la première femme qui
intervient après la création d’Adam.
Nous sommes avec ce
texte dans la deuxième version de la création. Vous le savez il y a dans nos Bibles deux textes qui font le récit de la création. Le premier,
au chapitre 1 de la Genèse, est un texte très poétique, très structuré. Il décrit la création en 6 jours aboutissant au Sabbat. La terre est alors l’œuvre de la parole de l’Eternel, une création à
partir de rien – ex-nihilo comme on dit. Une création par la parole
de l’Eternel qui créé
et qui bénit. C’est en fait le
texte le plus récent de la création. Un texte poétique, peut-être aussi un texte liturgique, marqué
par la répétition et le calendrier.
Vient ensuite dans
le livre de la Genèse une autre
tradition sur la création. Une
tradition beaucoup plus ancienne, beaucoup plus rurale aussi avec les chapitres
2 et 3. Alors Dieu créé
le monde à partir de la matière. Alors Dieu est
acomme un potier façonnant l’humain, l’adam dans la terre.
C’est l’étape 1 de la création de l’humain. Puis vient après l’étape 2 la création d’ève, création de la femme – c’est le texte que nous avons entendu.
Si je dis qu’il s’agit de mythe c’est que nous ne
pouvons faire coller les deux traditions pour espérer une
reconstitution historique. Les deux textes ne s’accordent pas sur
un plan historique –
ils ne disent pas
la meme chose, car l’essentiel n’est pas dans la description.
Ainsi, en ce qui
nous concerne avec le texte entendu aujourd’hui, la première tradition dit la création de l’homme et de la femme d’un même élan, au même moment : « Dieu créa l’homme à
son image, à l’image de Dieu il les créa ; mâle et femelle il
les créa ». C’est totalement
incompatible avec les détails de la deuxième tradition que je viens de lire. Très nettement, dans
cette deuxième tradition il y a d’abord la création d’Adam, puis la création d’Eve – deux étapes bien distinctes.
La création dans la Bible
est un mythe c’est dire qu’il ne s’agit pas d’un texte qui décrirait une vérité historique, mais c’est un texte qui
porte une vérité
symbolique. Une vérité symbolique, c’est dire que le texte ne vient pas décrire comment s’est historiquement passé
la création, mais bien
comment nous pouvons comprendre le monde comme création de Dieu.
J’en conviens, la difficulté aujourd’hui c’est que le mot mythe est souvent connoté
négativement comme un discours faux. Ainsi un menteur chronique est
souvent taxé de mythomanie.
Comme si le mythe avait quelque chose à
voir avec le
mensonge, ou une non-vérité.
Alors que le mythe
n’est pas un discours rationnel qui pourrait dire le vrai ou le faux,
mais c’est un discours symbolique, un discours qui représente une vérité plus qu’elle ne la dit.
Ainsi l’anthropologue Claude Levis-strauss a rapproché le mythe de la musique : "pendant des
millénaires, le mythe a été un certain mode de construction intellectuelle... Mais, dans notre
civilisation, à une époque qui se situe vers le XVII è, avec le début de la pensée scientifique, le
mythe est mort ou, à
tout le moins, il a
passé à
l'arrière-plan comme type de construction intellectuelle. Alors ... la
musique a pris en charge certaines des fonctions que le mythe cessait
d'assumer."
Discours de représentation la création peut alors être une musique. On peut penser à
la musique de l’oratorio de Haydn, « La création ».
Le mythe a un lien
avec l’art en tant qu’il est une représentation du sens. Levis-strauss le rapprochait de la musique, mais il
peut y avoir aussi ce discours en peinture. C'est ce qui m'a fait penser à cette peinture de Chagall dont nous voyons des détails depuis le début du culte (un diaporama accompagnait la liturgie). Un
tableau sur le texte de la Genèse qui raconte en
dessin la création d’Eve.
Cette image se lit
de gauche à droite et de haut
en bas.
En bas à
gauche on voit Adam
en position de Yogi qui lève le bras pour
faire apparaître son côté ouvert –
la côte d’où est sortie Eve. Eve
est au-dessus derrière une nuée blanche et lumineuse –
symbole de la
divinité ; puis en allant vers la droite vous voyez le serpent qui menace le
couple prêt à
croquer la pomme – cette image très riche fourmille de vie : des représentations animales et même d’autres représentations humaines...
La création dans la Bible
peut donc s’entendre comme une création artistique : musique,
peinture, et bien d’autres. Le discours
n’est pas alors celui de mots raisonnables pour décrire une vérité rationelle qui s’inscrirait dans l’histoire. Mais le texte se fait alors l’expression du
ressenti d’une relation à Dieu qui s’inscrit dans la vie
du monde, dans la vie de l’humain, et dans la
vie l’homme et la femme.
Une fois qu'on a
dit ça, comment entendre ce discours symbolique ? Comment faire résonner cette représentation du sens que nous donne le texte de la création d’Eve que nous avons
entendu ? Comme toute œuvre d’art il y a une multitude de pistes possibles pour ouvrir le
commentaire.
Je voudrai pour
aujourd’hui reprendre deux notions qui me semblent traverser le texte, deux idées.
Il y a d’abord la notion de compagnonnage
entre l'homme et la femme. Tout part de
la parole de l’Eternel : « il n’est pas bon pour l’homme d’être seul ». Ce compagnonnage peut être compris de manière dévalorisante avec une vision utilitariste
de la relation homme femme. Ainsi on peut comprendre qu’Eve n’a été créé que dans le le but
de rompre la solitude d’Adam. Dans l’histoire de l’interprétation du texte
biblique cette idée a été souvent véhiculée. Mais de tout
temps aussi, ce compagnonnage a été valorisé dans la notion du côte à côte de l’homme et de la
femme, un côte à
côte qui créé
une égalité de fait.
Déjà Saint Thomas d’Aquin, au treizième siècle écrivait ceci : « Si la femme avait été tirée d’un os de la tête, elle aurait représenté l’orgueil. Si elle avait été tirée d’un os du pied, elle aurait été esclave. Elle a été tiré d’un os du milieu, donc elle se situe au
milieu de l’être humain ».
Milieu de l’être humain, le côte à côte de l’homme et de la
femme, le compagnonnage voulu par Dieu est une relation d’égalité, d’équivalent, de vis-à-vis. Et pour renforcer ce trait fondamental, quand dans le récit Dieu a fini sa création de la femme – Adam dit : « voici cette fois l’os de mes os, et la chair de ma chai, celle-ci on l’appellera femme –
isha en hébreu - car c’est de l’homme –ish en hebreu - qu’elle a été prise ». Isha –
Ishe en hébreu la différence entre l’homme et la femme n’est que d’une seule lettre – isha, ishe dans la langue hébraïque se dit fondamentalement une équivalence et une égalité.
Compagnonnage, équivalence, égalité entre homme et femme, j’insiste très largement sur ce trait –
ce trait que l’on retrouve dans le tableau de Chagall dans le couple enlacé. Si c’est Eve qui tient
la pomme – dans le tableau comme dans l’Ecriture elle ne saurait être plus pécheresse que l’homme puisqu’ils sont fondamentalement en relation de côte à côte, de vis-à-vis, d’égalité.
Cette égalité instaurée par Dieu est je crois, encore aujourd’hui un combat.
Quand bien même le droit des femmes est, ici du moins
dans un occident confortable, le droit des femmes est le même que celui des hommes ; nous avons au nom
de notre foi, au nom de notre relation à
Dieu à dire que rien n’a à abaisser la femme vis-à-vis de l’homme, que rien ne justifie une dévalorisation
religieuse de la femme, rien ne justifie l’instrumentalisation
de la femme.
Ce texte de la création bien entendu vient dire à
l’apôtre Paul qu’il se trompe quand il veut placer la femme en soumission à l’homme. Et ça il nous faut sans
cesse y revenir, dans la rencontre d’autres traditions
religieuses, d’autres conceptions culturelles.
Sur Internet j’ai trouvé
la video de cette
campagne interreligieuse en Inde –
un pays ou le droit
des femmes est souvent bafoué
– une video qui circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux :
« toutes les religions protègent les femmes ;
protéger les femmes est une religion »
dit le slogan. Le
viol des femmes en Inde est un vrai problème de justice et de droit. Et il est
heureux que les religions s'unissent pour défendre le droit des
femmes.
Egalité dans les relations de l’homme et de la
femme –c’est la première idée que je retiens du récit de la création et la seconde
idée dit quelque chose de toute vie humaine – tant femme que homme. C’est la notion de
sortir de quelque part, ou d’être tiré de quelqu’un. Ça semble peut être un peu hermétique mais c’est je crois quelque chose de peut-être plus
fondamental encore que nous dit le texte biblique.
Pour bien entendre
cette idée, le texte nous dit que la femme est tirée de la côte d’Adam et aussitôt le récit fait le lien avec « l’homme laissera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme ». La femme est tirée de la côte, et l'homme doit se tirer de chez ses parents, si vous me passez
l'expression. C’est assez surprenant ce lien entre la création de la femme à
partir de l’homme et la séparation de l’homme de son père et sa mère, d’autant plus surprenant qu’Adam - souvenons-nous en - n’a ni père ni mère dans le récit biblique.
Le lien est
surprenant et pourtant dans les deux cas il y a quelque chose qui se dit d’une séparation. La femme est tirée, séparée de l’homme, et l’homme est séparé, tiré de son père et sa mère. Ce que nous dit
le texte c’est que pour exister il faut accepter une
séparation, une coupure, une sortie, mais ce que nous ne sommes nous ne
pouvons l’être qu’à
partir d’autres.
Exister d’ailleurs, le mot exister étymologiquement dit
que « l’on est à
partir de » - ex-istere en latin. Lors de sa création Eve existe à partir de l’homme, et l’homme existe à
partir de son père et sa mère. L’humanité
est dans une
relation de dépendance les uns vis-à-vis des autres. Une dépendance que, je
crois, nous avons du mal aujourd’hui à valoriser.
Aujourd’hui nous vivons sous l’idéologie du self-made-man pour le dire en anglais : c’est l’idée de réussir sa vie tout
seul – ne rien devoir à
personne, c’est l’idéal de la
construction de soi. Or, le texte biblique nous dit qu’au contraire, nous ne pouvons vivre qu’en reconnaissant la
dette qui nous lie aux autres. Une dette fondamentale : nous ne pouvons vivre qu’à
partir des autres.
Et si je critiquais
la vision paulinienne de la relation homme femme, je trouve chez l’apôtre Paul un très bel écho de cet
endettement, de la dépendance de
toute l’humanité. Dans l’épître aux Romains, quand il écrit : « N’ayez aucune dette
les uns envers les autres, si ce n’est de vous aimer
les uns les autres »
- parler d’amour en terme de dette m’a toujours paru étonnant. Mais ce que vient dire le texte de la création c’est que toute vie
est endettée de vies lui précédant.
Nous voici aujourd’hui invités à entendre le mythe de la création d’Eve, plus qu’un discours
rationnel, plus qu’un récit historique ; le mythe est une œuvre d’art : poème, musique, représentation. Le mythe porte en lui-même plus qu’il ne raconte. J’ai choisi pour ce dimanche deux notions : l’égalité homme-femme dite
dans le côte à
côte d’Adam et Eve, et la dépendance de toute existence, dépendance de toute
vie à l’égard de la vie des autres. Une dette, une
dépendance dans l’amour dite dans la
sortie d’Eve du côté d’Adam et dans le fait que tout homme
quittera son père et sa mère.
Ces deux idées ne limitent pas le texte, il y aurait pu en avoir bien d’autres –
d’autres idées par lesquelles
nous pouvons essayer de traduire la bonne nouvelle de Dieu. Une Bonne Nouvelle
qui nous invite dans cette vie et dans ce monde, à
compter sur lui
pour vivre d’amour.
Ces deux idées ne limitent pas le texte car cette création est une
ouverture, une ouverture absolue à
l'espérance.
Dans cette
ouverture que nous sachions vivre le courage de la foi, de l'amour et de l'espérance. Amen.
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