Prédication de Noël, 25 décembre - Evangile selon Luc, chap. 2, v. 8 à 20



Lecture de l’évangile selon Luc, chapitre 2, v. 8 à 20
8Il y avait, dans cette même région, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. 9L'ange du Seigneur survint devant eux, et la gloire du Seigneur se mit à briller tout autour d'eux. Ils furent saisis d'une grande crainte. 10Mais l'ange leur dit : N'ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d'une grande joie qui sera pour tout le peuple : 11aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. 12Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. 13Et soudain il se joignit à l'ange une multitude de l'armée céleste, qui louait Dieu et disait :
14Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir !
15Lorsque les anges se furent éloignés d'eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu'à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. 16Ils s'y rendirent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né couché dans la mangeoire. 17Après l'avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. 18Tous ceux qui les entendirent s'étonnèrent de ce que disaient les bergers. 19Marie retenait toutes ces choses et y réfléchissait. 20Quant aux bergers, ils s'en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.

Prédication :
Image de Noël ; image d’Epinal ; l’apparition de l’ange au berger est de ces images qui restent gravées dans notre mémoire. Tout dans la texte de Luc insiste sur l’image : Dans la même région, région de Bethléem dans laquelle sont venus, Joseph et Marie pour le recensement, région dans laquelle le fils premier né de Marie est né, dans cette région – imaginez vallées et collines verdoyantes  paysage champêtre. Des bergers. Des bergers avec leurs moutons paissant sur l’herbe verte.

Imaginez ces bergers de nuits, veillant autour d’un feu. Luc ne nous dit pas qu’il y a un feu, mais tout de même nous sommes en décembre – alors forcément il y a un feu. Un feu autour duquel sont assemblés ces bergers qui veillent. Veillée du quotidien à laquelle il n’y a plus rien à raconter, lassitude de la routine qui fait qu’il n’y plus de nouvelles à partager – chaque soir avec les mêmes compagnons. Ne reste à partager que les fatigues de la journée.

Mais tout à coup – tout à coup sur cette colline ou dans cette vallée – sur ce pâturage, au milieu des bergers – tout à coup : un ange paraît – un ange, un envoyé, un messager ; porteur d’une parole, d’une nouvelle. Cet ange parle
« N’ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau né emmailloté et couché dans une mangeoire »
 Et le messager est bientôt rejoint par « une multitude de l’arme céleste » écrit Luc. Il est rejoint par d’autres pour entonner la louange et dire à la face du monde :
« Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et sur terre, paix, parmi les humains en qui il prend plaisir ! »

Nuit de Noël, cette apparition du messager aux bergers.
Nuit d’un Noël champêtre, image pieuse des bergers autour du feu.
Nuit d’un Noël porteur d’une parole – une parole d’ange, de messager. Et c’est sur cette parole que je voudrai m’arrêter aujourd’hui. Sur cette parole et précisément sur deux petites part de cette parole – deux petits extraits, deux détails :  
« la bonne nouvelle d’une grande joie »
« Et ceci sera pour vous un signe »

1er extrait :
« La bonne nouvelle d’une grande joie » - en grec : euangelizomai karan megalh - j’annonce la bonne nouvelle, l’évangile, de la grande joie. Vous me direz, parler d’évangile et de joie [un jour] [un soir] de Noël à quelque chose de convenu, quelque chose d’attendu. Rien de très surprenant. Pourtant, dans la parole du messager : l’évangile, la bonne nouvelle, est indissociable de la grande joie. Il s’agit de « l’évangile de la grande joie ».

Relisant ce texte, pour cette prédication – je me suis demandé si on avait toujours bien compris ça dans l’histoire ! C’est vrai que dans l’histoire de l’église, les théologiens, celles et ceux qui se sont penchés sur le texte biblique sont peut nombreux a être des enthousiastes, il y a bien quelques mystiques. Mais la plus part sont des moralistes, des philosophes, des penseurs… tous moins joyeux les uns que les autres ! Mais des gens heureux ? des gens acceptant les joies simples ! Ils sont malheureusement moins nombreux.

Y’en a quand même – rassurez vous – lire l’évangile ne conduit pas forcément à rejetter la joie ; même si des fois on peut légitimement se poser la question. Y’en a quand même : Augustin par exemple sait témoigner de sa joie dans les confessions. Même si dans ses  traités théologiques la bonne humeur ne soit pas un trait caractéristique. De même Luther et ses fameux « propos de table » – qui font le portrait d’un bonhomme simple aux joies simples. Ce Luther qui écrivait, et je cite encore ce mot que nous avons entendu au synode régional dans la bouche du professeur Marc Lienardt, Luther écrivait : « prendre du bon temps et boire une bière, c’est aussi un acte de foi »[1]. Plaisir simple, joie simple qui témoignent de la l’évangile comme une bonne nouvelle – acte de foi.

Nous retrouvons cela chez Calvin de manière plus discrète, car Calvin est loin d’être un comique de la taille de Luther, mais l’austère genevois écrivait pourtant : « Ayons les cœurs élevés vers le haut pour aimer le Christ que nous ne voyons pas et que croyant en lui nous soyons ravis d’une joie inénarrable et magnifique »[2]. Joie inénarrable, irracontable, indicible, et d’ailleurs Calvin ne parle pas souvent de la joie.

Il faut dire que malgré la parole de l’ange aux bergers : « la bonne nouvelle de la grande joie », la joie n’est pas très présente dans les évangiles. Luc est avec Jean le plus réjouit – on y trouve le mot joie respectivement 10 et 8 fois - suivit par Matthieu – 6 fois – et Marc est loin derrière – il n’utilise qu’une seule fois le mot « joie ». Bref, dans les évangiles, dans ces livres qui rapportent la bonne nouvelle la joie n’est que très peu présente.

Pourtant en grec, entre la joie, karan et la grâce kariV – il n’y a qu’une terminaison qui change. Dans l’évangile, Grâce et joie ont la même racine.

Joie inénarrable, irracontable, indicible disait Calvin. Peut-être. Mais c’est cette joie, cette bonne nouvelle d’une grande joie c’est quand même ce qui réunit l’église, ce qui fait l’église, cette parole que reçoivent les disciples et qui est de l’ordre d’une vocation pour le Christ qui vient de naître : « N’ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple ». Bonne nouvelle de la grande joie : vocation pour le Christ et pour l’église.

L’invitation à la joie est vocation pour le Christ et pour l’église même si elle n’est que très peu présente dans les évangiles. Et pour cause. En ce jour de Noël, nous sommes autour de la crèche, ou du moins pas très loin, avec ces bergers dans les champs – mais pour autant, nous connaissons tous la fin de l’histoire : à lire l’évangile, de la grande joie pour tout le peuple, de la bonne nouvelle on passe rapidement au grand jugement par tout le peuple, et le peuple assemblé à Jérusalem criera : crucifie-le ! crucifie-le !

Tu parles d’une joie ! On comprend aisément que les évangélistes ne s’étendent pas plus sur la joie. Du fait du contraste entre cette nuit de Noël et la nuit du vendredi saint.

Mais justement, ce contraste entre l’évangile et le jugement, entre la joie annoncée et la haine vécue, entre la crèche où Dieu vient à nous et la croix où nous le refusons, ce contraste devrait peut-être nous porter à réfléchir en église – une question : Là, où il n’y a pas de joie, y’a-t-il encore évangile ? Là, où il n’y a pas la joie, y’a-t-il encore l’église corpus christi ?

Ces mots peuvent être rudes à entendre. C’est vrai ; on a longtemps eu scrupule à parler de joie dans l’église car ces mots sont rudes pour les malades, les personnes endeuillés, les fatigués, les isolés, et toute la cohorte ceux qui n’arrivent plus à se réjouir, enfermés dans la souffrance quelque soit son nom.

Pourtant, l’évangile que nous avons à annoncer à la suite de l’ange aux bergers est l’évangile d’une grande joie. D’une joie donnée, d’une joie à recevoir – joie à recevoir peut-être justement là où ça fait mal : là où il y a la maladie, là où il y a le deuil, là où il y a la fatigue et la solitude ; joie de savoir, malgré tout, que nous ne sommes pas appelés à ce mal subit mais à autre chose ; joie de savoir que nous ne sommes pas seul face à ces tourments ; joie qui ne concerne pas les autres mais soi-même – là où la douleur se fait sentir car ce n’est pas à avoir mal que nous sommes appelés. Mais à la joie malgré tout.

Alors, c’est vrai que Noël n’est plus une fête comme elle l’était il y a ne serait-ce que 50 ans. Mais il ne faudrait pas pour autant critiquer la capacité à se réjouir, la capacité à la joie de cette fête.

C’est vrai que Noël sombre dans le tout commercial, chaque année un peu plus la publicité se rapproche de l’idolâtrie et les supermarchés de temples de la consommation. Mais je crois qu’il ne faudrait pas, en vilipendant le culte de la consommation, oublier de dire qu’il est bon que nous sachions nous réjouir autrement que dans la dépense et la débauche, qu’il en va de notre vocation, de cette parole que nous avons à porter : « la bonne nouvelle d’une grande joie ».

 « N’ayez pas peur » disait l’ange au berger, cette parole a été tirée à hue et à dia par tout le monde et n’importe qui – pourtant c’est à nous aujourd’hui qui voulons nous placer à l’écoute de l’évangile de la grande joie qu’elle est adressée.

***

Dans son discours au berger l’ange poursuit en disant : « aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau né emmailloté et couché dans une mangeoire »
« Et ceci sera pour vous un signe » - kai touto umin to shmeion - deuxième extrait.  L’enfant dans la crèche est un signe – séméion. Un signe de l’évangile de la grande joie, un signe de la naissance du sauveur, un signe de celui qui est le Christ. Un signe c’est toujours quelque chose, un geste, une action qui montre autre chose. Pour comprendre un signe, il faut pouvoir le décoder. Car sans décodeur, un signe c’est quelque chose que l’on ne comprend pas. Montrer quelque chose du doigt est un signe, par exemple. Et vous connaissez sans doute le proverbe chinois « quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ».

Comment comprendre l’enfant nouveau-né emmailloté dans la crèche ? Comment comprendre la naissance du sauveur ? de celui qui est le Christ ? Comment face à la crèche ne pas en rester à regarder le doigt, ce signe, mais comprendre ce vers quoi nos regards doivent se porter ?  Quelle est la clef pour faire de cette naissance, non pas une naissance d’un enfant comme un autre, mais un « signe » comme le souligne l’ange ?

Dans son livre, Parler du Christ, le professeur André Gounelle termine par une conclusion intitulée de manière un peu provocatrice : « inventer le Christ » André Gounelle commence par souligner que inventer n’a pas pour sens premier « fabriquer une réalité » mais bien plus « découvrir ce qu’auparavant on n’avait pas vu ». Ainsi par exemple, et je l’ai déjà dit ici, peut-on dire que Christophe Collomb a inventé l’Amérique.

Le professeur Gounelle nous invite à « inventer le Christ » dans le sens ou pour lui, je le cite : « nous ne savons pas tout de la personne de Jésus, ni de la réalité que désigne la notion de christ. Nos analyses, nos définitions, nos doctrines n’en font pas le tour, ni n’en épuisent la signification. La part d’inconnu a explorer, d’inattendu à assimiler, de nouveauté à découvrir, bref d’invention au sens que je viens de définir, reste très importante »[3].

« Inconnu », « inattendu », « nouveauté », tout dans le propos du pasteur Gounelle nous invite à nous interroger. Et c’est là peut-être un décodeur possible pour tenter de comprendre le signe de l’enfant emmailloté dans la crèche. Un décodeur qui vient nous dire que ce signe est peut-être plus de l’ordre d’une interrogation qu’une affirmation. Qu’y a-t-il dans la crèche d’inconnu ? D’inattendu ? De nouveau ? Une interrogation plus qu’une affirmation.

Invitation à prendre le contre-pied de tous ceux qui ont voulu trouver des réponses plutôt que de laisser ouverte les questions. Car c’est vrai que les questions laissent dans le malaise, une question ce n’est pas stable, ce n’est pas solide. Suite à cette naissance dans la crèche, l’Eglise et les théologiens sont tous partis à chercher des réponses pour surtout ne pas laisser les questions ouvertes : de là viennent les savantes doctrines de l’incarnation du vrai Dieu et vrai homme, qui vous expliquent comment le fils d’une femme peut être le fils de Dieu et j’en passe – vous retrouverez ça dans les confessions de foi des premiers conciles.

Des conciles qui vous expliquent l’inexplicable mais qui en plus jugent, qui condamnent et proclament anathèmes celles et ceux qui ne l’expliqueraient pas de la même manière. Cette volonté de tout solutionner de manière savante et précise explique peut-être pourquoi la joie n’est que si peu présente chez les théologiens.

C’est un peu comme si le fils de Dieu naissait sur la terre pour que l’humanité se réjouisse et qu’au lieu de ça les hommes se tourmentent pour savoir comment cela est possible, pourquoi, qu’est-ce que cela veut dire et passent à côté de l’invitation à se réjouir. Les bergers, qui n’avaient sans doute pas grande formation théologique, eux ne sont pas posés de question et ils sont allés à Bethléem et ils se sont réjouis avec Marie et Joseph. Un ange leur apparaît : inconnu, inattendu, nouveauté, ils ne se tourmentent pas avec la question du pourquoi et comment, mais ils y vont.

Notre Dieu vient vivre avec nous, malgré toutes les questions que cela a pu poser et peut encore  nous poser c’est là, pour le messager le signe de « la bonne nouvelle d’une grande joie »

***

Image de Noël ; image d’Epinal ; l’apparition de l’ange au berger est de ces images qui restent gravées dans notre mémoire. Un peu comme ces cantiques que nous chantons au temps de Noël
Peuples qui marchez dans la longue nuit, Le jour va bientôt se lever.
Peuples qui cherchez le chemin de vie, Dieu lui-même vient vous sauver.
Il est temps de bâtir la paix dans ce monde qui meurt,
Il est temps de laisser l’amour libérer votre cœur.

Et si Noël ce n’était pas plus compliqué que ça ?
Recevoir la bonne nouvelle d’une grande joie
Accepter l’enfant dans la crèche comme signe de Dieu venant vivre avec nous et venant jusqu’au bout.
S’ouvrir à la joie pour le monde
Paix et amour dans nos cœurs
Malgré les questions, malgré les souffrances Malgré la nuit.
Savoir prendre plaisir dans les moindres choses
Savoir s’ouvrir à l’inattendu, à l’inconnu, à la nouveauté
Ne pas avoir peur de se réjouir. Même dans l’église. Amen.


[1] Cité par Marc Lienardt, conférence du synode régional sur la transmission
[2] IRC III, XXV, 1
[3] A. Gounelle, Parler du Christ, p. 140 les exemples entre guillemets sont tirés du même passage

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