Prédication du dimanche 2 novembre - Evangile selon Matthieu, chap. 23, v. 1 à 12

Dans l'évangile selon Matthieu au chapitre 23, les v. 1 à 12 :

Alors Jésus dit aux foules et à ses disciples : 2Les scribes et les pharisiens se sont assis dans la chaire de Moïse. 3Faites et observez donc tout ce qu'ils vous diront, mais n'agissez pas selon leurs œuvres, car ils disent et ne font pas. 4Ils lient des charges lourdes, difficiles à porter, pour les mettre sur les épaules des gens, mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. 5Toutes leurs œuvres, ils les font pour être vus des gens. Ainsi, ils élargissent leurs phylactères et ils agrandissent les houppes de leurs vêtements ; 6ils se plaisent à avoir la première place dans les dîners et les premiers sièges dans les synagogues, 7être salués sur les places publiques et être appelés Rabbi par les gens.
8Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre maître, et vous, vous êtes tous frères. 9Et n'appelez personne sur la terre « père », car un seul est votre père, le Père céleste. 10Ne vous faites pas appeler docteurs, car un seul est votre docteur, le Christ. 11Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. 12Qui s'élèvera sera abaissé, et qui s'abaissera sera élevé. 

« Le plus grand parmi vous sera le serviteur de tous » nous dit Jésus.

1, le service comme bien
Avez-vous entendu parlé ces derniers temps du : Trades In Services Agreement que l'on appelle aussi de son acronyme TISA ? On en parle un peu dans les médias : c'est un accord en passe d'être conclu au niveau du marché mondial entre les états-unis d'amérique et l'union européenne sur le commerce des services. Cet accord fait un peu de bruit, bien que contracté dans le secret, il met à mal le cade de l'organisation mondiale du commerce. Globalement et pour le dire vite cet accord international fait des services un bien commercial comme les autres, y compris, notamment, les services publics.

Cet accord commercial est je crois le symptôme d'un mal qui a gagné toute notre société, détournant le service de son sens. Car oui aujourd'hui les services sont un commerce comme les autres. Il suffit de se promener à Béziers dans le centre ville pour voir fleurir des « entreprises de service » - service à la personne, entretien de jardin ou de maison, soins à domiciles, services auprès des malades et des souffrants.
Ces services sont alors qualifiés de biens immatériels – une formule intéressante que des biens immatériels – c'est à dire quelque chose que l'on peut posséder, avoir, ou bien quelque chose que l'on peut faire, réaliser et surtout évaluer, chiffrer et donc vendre et acheter.

A cette notion de service commercial échangé contre bon argent, nous avons à l'opposé la B.A des scouts ou des éclaireurs. D'une conception du service comme bien, nous passons au service comme bien-fait. La B.A. – bonne action gratuite dans laquelle il s'agit d'apporter à l'autre ce dont il a besoin sans en retirer autre chose que la satisfaction du devoir accompli. Avoir fait ce qu'il fallait faire – c'est le salaire de la B.A., une bonne action ne peut donc pas avoir de valeur autre que l'estime de soi et l'estime de l'autre – c'est inchiffrable, invendable.

L'éthique aujourd'hui navigue à vue entre la notion de service tel que le monde la connaît et la morale de boy scout qui veut que nous soyons au maximum les « bons samaritains » les uns des autres. Pourtant, dans l'évangile Jésus ne situe la notion de service ni au niveau d'un bien échangeable contre monnaie sonnante et trébuchante, ni au niveau de la B.A. de boy scout. La parole de l'évangile propose autre chose, le christ nous trace un autre chemin dans la compréhension du service.

2- le service comme relation
« Le plus grand parmi vous sera le serviteur de tous ». Par là, pour Jésus la notion de service n'est ni un bien commercial que l'on peut chiffrer, monnayer voire s'échanger ; ni une bonne action, un bien-fait ou quoique ce soit d'autre qu'il nous faudrait faire. La notion de service pour Jésus n'est pas un bien ou un faire, c'est une question de relation.

Oui de relation. En effet, il n'est pas anodin que cette question du service arrive après un enseignement sur la fraternité humaine : « ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre maître et vous êtes tous frères » et sur la paternité de Dieu : « n'appelez personne sur la terre « père », car un seul est votre « père ». Frère et père sont deux notions relationnelle : On ne peut pas être frère tout seul : il faut un autre, il faut un frère. On ne peut pas avoir de Père sans se comprendre comme un fils.

Ce sont ces notions qui disent des relations particulières : frères, père qui introduisent la notion de serviteur : « Le plus grand parmi vous sera le serviteur de tous ». Pour être serviteur des autres, il faut d'abord se reconnaître comme étant en relation avec les autres.

Afin d'avancer en compréhension de l'enseignement de Jésus, être serviteur ne permet pas d'être grand en absolu, mais bien d'être plus grand parmi les autres. De la même manière, on peut penser au verset devenu un adage qui dit que les premiers seront les derniers, pour être premiers ou derniers, nous ne pouvons être seuls. L'évangile nous place forcément en lien, les uns avec les autres, en relation.

Le service n'est pas un faire qu'il faudrait que nous fassions les uns pour les autres, c'est bien plus une manière d'être avec les autres.

3- Pourquoi être au service ?
Alors c'est peut-être le moment de se rappeler pourquoi Jésus nous appelle à nous faire serviteur les uns des autres. Se souvenir qu'il ne s'agit pas de se mettre au service pour être sauvé, mais bien d'être au service les uns des autres car nous sommes sauvés : Le salut n'est pas un but de la vie chrétienne, il est le point de départ d'une vie nouvelle. Le salut est à la source d'une manière nouvelle de considérer sa vie, sa relation aux autres et sa relation à Dieu.

La conversion source de vie, nous ouvre à un nouveau regard sur nos vies1. Un regard qui nous invite à sortir de la mise en concurrence de nos vies, à quitter toutes nos prétentions à vouloir être grand, une parole qui nous appelle à fonder nos vies dans l'Evangile, dans une bonne nouvelle qui nous dit que, quoique nous en fassions, nos vies ont du prix aux yeux de Dieu.

L'Évangile, tel que l'annonce Jésus n'a eu de cesse de chercher à remettre à l'endroit ce que nous prenions à l'envers. Les systèmes religieux décrivent deux chemins : celui qui mène au salut et celui qui mène au jugement. La religion est l'expression de la prétention humaine à conduire vers le salut en évitant d'aller vers le jugement. Et cette religion est là dans l'enseignement de Jésus : des juifs qui élargissent leur phylactères, qui pratiquent la loi de Moïse de manière ostensible.

Or l'Évangile n'est pas de cet ordre d'une pratique religieuse. L'évangile est une parole, une parole qui affirme que le salut est au commencement, et que ce commencement est donné pour illuminer nos vies. Il donne de traverser le jugement sans crainte. L'un des fruits du salut est la repentance : c'est-à-dire reconnaître que ma vie repose sur un autre que moi-même, que ce qui donne un appui solide à ma vie, c'est la parole que cet autre m'adresse pour m'appeler à sortir de moi-même et recevoir la vie éternelle, cette vie sur laquelle nul ne règne sinon le maître de la vie.

3, Le service n'est pas une voie de salut.
J'insiste car on entend tellement le contraire : le salut n'est pas au terme de la vie du chrétien, c'est en fait le point de départ. Se mettre au service les uns des autres n'est pas une manière de faire son salut ou de trouver grâce aux yeux de Dieu. Non pas !

Une semaine après le dimanche de la réformation, on peut se souvenir que c'est ce que Calvin cherchait à dire en développant l'idée de prédestination. Cette idée a causé beaucoup de problème surtout à partir du moment où l'on en a fait le moyen pour prétendre reconnaître qui est sauvé et qui ne l'est pas. Pour Calvin, la prédestination était un moyen par lequel il voulait débarrasser les hommes et les femmes de son temps de la préoccupation du salut. La prédestination disait aux contemporains de Calvin : « Ne cherchez pas à être sauvés, mais tenez-vous dans la reconnaissance et le souvenir que Dieu est venu et continue de venir vous sauver ».

Cette affirmation est à tenir, peut-être particulièrement un jour de la fête des morts : le salut est au début de nos vies, une parole de commencement, pas un jugement sur sa fin.

Être sauvé ne signifie pas n'être plus pécheur. Être sauvé signifie assumer d'être pécheur et tout pécheur que l'on est pouvoir se placer au service les uns des autres, dans la réjouissance.

Dans ce sens le théologien Dietrich Bonhoeffer écrivait :

« Voici que la grâce de l'Evangile, si difficile à comprendre aux gens pieux, nous met en face de la vérité et nous dit : Tu es un pécheur, un très grand pécheur, incurablement, mais tu peux aller, tel que tu es, à Dieu qui t'aime. Il te veut tel que tu es, sans que tu fasses rien, sans que tu donnes rien, il te veut toi-même, toi seul... Dieu est venu jusqu'à toi, pécheur, pour te sauver. Réjouis-toi ! En te disant la vérité, ce message te libère. Devant Dieu tu ne peux pas te cacher. Le masque que tu portes devant les hommes ne sert à rien devant lui. Dieu veut te voir tel que tu es pour te faire grâce. Et Bonhoeffer écrit encore : Tu n'as plus besoin de te mentir à toi-même et de mentir aux autres en te faisant passer pour sans péché : non, ici il t'es permis d'être un pécheur, remercie Dieu »2.

Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Celui qui s'élèvera sera abaissé et celui qui s'abaissera sera élevé.

Etre serviteur les uns des autres ne nous permet pas d'échapper au péché – mais nous permet d'échapper au mensonge sur nos vies, à la lutte de la concurrence, être serviteur les uns des autres nous permet de témoigner de la joie que Dieu porte au monde par l'Evangile, joie pour nos vies et non pour nos morts !

Oui, le plus grand parmi nous, c'est le Christ.
Il s'est abaissé pour qu'en chacun de nous la vie soit relevée. A lui seul soit la gloire. Amen.
1Les paragraphes suivants s'inspirent e reprennent une prédication de Jérémy Duval.
2Cit in A.Nouis, Catéchisme protestant, p. 308

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