mercredi 23 avril 2014

BENEDICTION ET THEOLOGIE DE L'ALLIANCE - c'est quoi le rapport ?



Beaucoup de détracteurs de la démarche synodale sur la bénédiction appellent à penser la bénédiction dans le cadre de la théologie de l’alliance, comme si ce cadre s’imposait de lui-même ! Notons que l’encyclopédie du protestantisme dans son article sur l’alliance souligne que « Le plus grand théologien réformé de notre siècle, Karl Barth, a pris ses distances par rapport à l’ancienne théologie de l’alliance »[1]. Sauf à faire de Barth un affreux libéral, on peut donc mettre en question légitimement la théologie de l’alliance et rester un théologien réformé…

Ce d’autant que c’est bibliquement que l’on peut mettre en question cette importance de la théologie l’alliance. Ainsi l’exégète Claus Westermann dans sa théologie de l’ancien testament écrit : « Dans une prétendue théologie de l’alliance, on a essayé de donner à ce concept un sens déterminant tout l’Ancien Testament. Ici s’exprime un parti pris qui ne rend pas justice aux éléments constitutifs du Livre »[2] ; et l’exégète démontre alors, entre autres, 1- que l’événement du Sinaï, souvent considéré comme la conclusion de l’alliance avec les 10 commandements, n’est qualifié d’alliance qu’a-postériori dans une rédaction deutéronomiste et « on ne saurait pourtant s’y référer en faveur de la conclusion d’une alliance au Sinaï »[3]. Mais surtout, l’exégète souligne que le terme hébraïque berit est loin d’être univoque et sert à qualifier l’alliance, la loi, la promesse ou l’engagement et qu’il ne peut être réduit à l’alliance seule.

Ces réserves bibliques importantes, étant posées sur l’importance même du sujet – de quoi parle-t-on ? Dans le protestantisme classique un des textes clés pour penser la théologie de l’alliance est le Consensus Helvétique de 1675 (C.H.). Texte qui suit le parti-pris dénoncé par l’exégète, dans lequel l’alliance apparaît comme fondamentale pour penser l’histoire de la relation entre Dieu et l’humanité.

Car, il s’agit bien de décrire l’histoire de la relation entre Dieu et les hommes en deux temps : l’alliance des œuvres et l’alliance de la grâce. Le C.H. tend à définir le cadre la pensée orthodoxe pour éviter toute division dans l’Eglise de Dieu (Canon 26) et condamne ainsi toute tentative de vouloir rajouter une alliance naturelle (Canon 25) ou tout enseignement contraire aux confessions de foi de la réforme et aux Ecritures (Canon 26). Dans ce qu’on peut qualifier d’opération d’orthodoxie, le C.H. défini deux alliances, reprenant la division Paulinienne autour d’Adam et du nouvel Adam. Le Canon 22 pose très clairement ce cadre :  

« Il y a deux manières par lesquelles Dieu, qui est un juste juge, a promis de justifier l’homme : l’une dans la loi, l’autre dans l’Évangile. Dans la loi, il promet de déclarer l’homme juste en conséquence de ses œuvres ou de ses propres actions. Dans l’Évangile, il s’engage à le traiter comme tel en considération de l’obéissance ou de la justice d’un autre, savoir Jésus-Christ, notre répondant, dont l’obéissance est imputée par grâce à celui qui croit. Le premier de ces moyens sert à justifier l’homme innocent, le second, à justifier l’homme pécheur et corrompu. Conformément à ces deux moyens de justification, l’Écriture établit deux Alliances, l’une des œuvres, et l’autre de la grâce. Celle des œuvres a été traitée avec le premier Adam, et, en lui, avec chacun de ses descendants. Le péché ayant rendu cette première alliance vaine et inutile. Dieu en a traité avec les seuls élus, dans le second Adam, une seconde, qui est éternelle et qui ne sera point sujette à l’abrogation comme la première. »

Les deux alliances sont donc liées à la justification – la première Alliance des Œuvres liée à la loi et à la justification par les œuvres – la seconde Alliance de la Grâce liée à l’évangile et à la justification par la foi. La première ayant été rendue « vaine et inutile » par le péché[4] la foi nous invite à vivre sous l’alliance de la grâce. Une alliance dans laquelle la loi de la foi prévaut pour tous ceux qui sont sauvés par élection éternelle[5].

Clarifions pour en rester sur le thème de l’alliance, que pour le C.H., « première » et « seconde » ne sont pas des qualificatifs chronologiques – les deux alliances ne sont pas deux moments ou deux temps. La justification par la grâce est disponible dès l’ancien testament – et il faut distinguer dans cette alliance de la grâce, deux économies – c’est ce que précise le canon 24 du C.H. :

« [l’Alliance de la grâce]… a eu, suivant la diversité des temps, des économies différentes. Car, quand l’apôtre Saint Paul désigne la dernière économie par ces mots : La dispensation de la plénitude des temps, il nous fait assez clairement entendre qu’il y a eu une autre économie et une autre dispensation dans les siècles qui ont précédé le temps que Dieu avait marqué pour la prédication de l’Évangile. Mais dans toutes ces deux économies de l’Alliance de grâce, les élus n’ont été sauvés que par l’Ange de la face, par cet agneau immolé dès la fondation du monde, par Jésus-Christ, par la connaissance de ce serviteur juste et par la foi en lui, aussi bien qu’en son Père et en son Esprit. Car Jésus-Christ est toujours le même, hier, aujourd’hui et dans tous les siècles, et nous croyons que c’est par la grâce du Seigneur Jésus-Christ que nous serons sauvés de même qu’eux, savoir les Pères. Les mêmes fondements demeurent inébranlables dans tous les deux Testaments. »

En s’appuyant sur ce que nous pouvons appeler aujourd’hui "la préexistence du Christ" sur "le Jésus de l’histoire", l’alliance de la grâce peut s’inaugurer dans l’histoire au même moment que l’alliance des œuvres. Nous trouvons là ce que nos consciences modernes ont appris à appeler un anachronisme ; anachronisme similaire à celui qui permet à l’apôtre Paul de faire d’Abraham un croyant justifié par la foi dans le chapitre 4 de sa lettre aux Romains. Cet anachronisme étant porteur du sens d’éternité dans la relation entre Dieu et son peuple.

Voilà ce qu’il en est de la théologie de l’alliance dans le texte de référence pour la foi réformée qu’est le Consensus Helvétique. Faut-il le souligner, ce texte ne parle pas de bénédiction, ni de bénédiction communautaire ni bénédiction de personne(s). Le lien entre la bénédiction et la théologie de l’alliance n’est pas du tout évident. Aussi, il me semble que l’on peut à juste se titre se demander pourquoi et à quelle fin ce cadre s’imposerait pour penser la bénédiction en église aujourd’hui ? Ou inversement, en quoi réfléchir à la bénédiction met-il en question cette théologie de l’alliance ? Le rapport n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît... 


[1] Mario Megge, « alliance », encyclopédie du protestantisme, CERF / LABOR & FIDES, 1995, p. 21
[2] C. Westermann, Théologie de l’ancien testament, LABOR & FIDES, 2002,  p. 49
[3] Idem, p. 50
[4] Détaillé au canon 10 : « [Adam] a perdu, pour ses descendants ainsi que pour lui-même, les biens qui étaient promis dans l’alliance des œuvres » 
[5] le C.H. développant classiquement une théologie prédestinationiste au canon 13 : « Comme Jésus-Christ a été élu de toute éternité pour être le chef, le prince et l’héritier, c’est-à-dire le Seigneur de tous ceux qui sont sauvés, dans le temps, par sa grâce, il a aussi été fait, dans le temps, médiateur de la nouvelle Alliance, uniquement en faveur de ceux qui lui ont été donnés par l’élection éternelle pour être son peuple propre et particulier, sa postérité et son héritage. Car, c’est pour les élus seuls qu’il a, suivant le décret de Dieu le Père et de sa propre volonté, souffert d’une mort cruelle. Il n’a ramené qu’eux seuls dans le sein de la grâce, il n’a réconcilié qu’eux seuls avec Dieu le Père, justement irrité, et n’a délivré aucune autre personne de la malédiction de la loi. Notre Sauveur Jésus-Christ sauve son peuple en le délivrant de ses péchés ; il a donné son âme pour la rédemption de plusieurs, pour ses brebis qui prêtent l’oreille à sa voix. Ce n’est que pour elles qu’il veut bien prier comme sacrificateur appelé de Dieu ; il ne prie point pour le monde. Par conséquent, Jésus-Christ étant mort, les élus seuls, qui deviennent dans le temps de nouvelle créatures, ces élus, pour lesquels il s’était offert comme une victime d’expiation, sont censés morts avec lui et justifiés de tout péché. Ainsi, la volonté de Jésus-Christ mourant conspire parfaitement avec le décret du Père et avec l’opération du Saint-Esprit. »

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