jeudi 8 octobre 2015

Prédication du dimanche 4 octobre

 GENESE, chap. 2, v. 18 à 24 (TOB modifiée) :
18L'Eternel Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » 19L'Eternel Dieu modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu’il amena à l’homme pour voir comment il les désignerait. Tout ce que désigna l’homme avait pour nom « être vivant » ; 20l’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs, mais pour lui-même, l’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. 21L'Eternel Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. 22L'Eternel Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. 23L’homme s’écria : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise. » 24Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

Nous voilà aujourdhui invité à entendre ce mythe de la création dEve, création de la première femme qui intervient après la création dAdam. 

Nous sommes avec ce texte dans la deuxième version de la création. Vous le savez il y a dans nos Bibles deux textes qui font le récit de la création. Le premier, au chapitre 1 de la Genèse, est un texte très poétique, très structuré. Il décrit la création en 6 jours aboutissant au Sabbat. La terre est alors l’œuvre de la parole de lEternel, une création à partir de rien ex-nihilo comme on dit. Une création par la parole de lEternel qui créé et qui bénit. Cest en fait le texte le plus récent de la création. Un texte poétique, peut-être aussi un texte liturgique, marqué par la répétition et le calendrier. 

Vient ensuite dans le livre de la Genèse une autre tradition sur la création. Une tradition beaucoup plus ancienne, beaucoup plus rurale aussi avec les chapitres 2 et 3. Alors Dieu créé le monde à partir de la matière. Alors Dieu est acomme un potier façonnant lhumain, ladam dans la terre. Cest l’étape 1 de la création de lhumain. Puis vient après l’étape 2 la création d’ève, création de la femme cest le texte que nous avons entendu. 

Si je dis quil sagit de mythe cest que nous ne pouvons faire coller les deux traditions pour espérer une reconstitution historique. Les deux textes ne saccordent pas sur un plan historique ils ne disent pas la meme chose, car lessentiel nest pas dans la description. 

Ainsi, en ce qui nous concerne avec le texte entendu aujourdhui, la première tradition dit la création de lhomme et de la femme dun même élan, au même moment : « Dieu créa lhomme à son image, à limage de Dieu il les créa ; mâle et femelle il les créa ». Cest totalement incompatible avec les détails de la deuxième tradition que je viens de lire. Très nettement, dans cette deuxième tradition il y a dabord la création dAdam, puis la création dEve deux étapes bien distinctes. 

La création dans la Bible est un mythe cest dire quil ne sagit pas dun texte qui décrirait une vérité historique, mais cest un texte qui porte une vérité symbolique. Une vérité symbolique, cest dire que le texte ne vient pas décrire comment sest historiquement passé la création, mais bien comment nous pouvons comprendre le monde comme création de Dieu. 

Jen conviens, la difficulté aujourdhui cest que le mot mythe est souvent connoté négativement comme un discours faux. Ainsi un menteur chronique est souvent taxé de mythomanie. Comme si le mythe avait quelque chose à voir avec le mensonge, ou une non-vérité

Alors que le mythe nest pas un discours rationnel qui pourrait dire le vrai ou le faux, mais cest un discours symbolique, un discours qui représente une vérité plus quelle ne la dit. Ainsi lanthropologue Claude Levis-strauss a rapproché le mythe de la musique : "pendant des millénaires, le mythe a été un certain mode de construction intellectuelle... Mais, dans notre civilisation, à une époque qui se situe vers le XVII è, avec le début de la pensée scientifique, le mythe est mort ou, à tout le moins, il a passé à l'arrière-plan comme type de construction intellectuelle. Alors ... la musique a pris en charge certaines des fonctions que le mythe cessait d'assumer." 

Discours de représentation la création peut alors être une musique. On peut penser à la musique de loratorio de Haydn, « La création ».

Le mythe a un lien avec lart en tant quil est une représentation du sens. Levis-strauss le rapprochait de la musique, mais il peut y avoir aussi ce discours en peinture. C'est ce qui m'a fait penser à cette peinture de Chagall dont nous voyons des détails depuis le début du culte (un diaporama accompagnait la liturgie). Un tableau sur le texte de la Genèse qui raconte en dessin la création dEve. 


Cette image se lit de gauche à droite et de haut en bas.
En bas à gauche on voit Adam en position de Yogi qui lève le bras pour faire apparaître son côté ouvert la côte doù est sortie Eve. Eve est au-dessus derrière une nuée blanche et lumineuse symbole de la divinité ; puis en allant vers la droite vous voyez le serpent qui menace le couple prêt à croquer la pomme cette image très riche fourmille de vie : des représentations animales et même dautres représentations humaines...

La création dans la Bible peut donc sentendre comme une création artistique : musique, peinture, et bien dautres. Le discours nest pas alors celui de mots raisonnables pour décrire une vérité rationelle qui sinscrirait dans lhistoire. Mais le texte se fait alors lexpression du ressenti dune relation à Dieu qui sinscrit dans la vie du monde, dans la vie de lhumain, et dans la vie lhomme et la femme.  

Une fois qu'on a dit ça, comment entendre ce discours symbolique ? Comment faire résonner  cette représentation du sens que nous donne le texte de la création dEve que nous avons entendu ? Comme toute œuvre dart il y a une multitude de pistes possibles pour ouvrir le commentaire. 

Je voudrai pour aujourdhui reprendre deux notions qui me semblent traverser le texte, deux idées. 

Il y a dabord la notion de compagnonnage entre l'homme et la femme.  Tout part de la parole de lEternel : « il nest pas bon pour lhomme d’être seul ». Ce compagnonnage peut être compris de manière dévalorisante avec une vision utilitariste de la relation homme femme. Ainsi on peut comprendre quEve na été créé que dans le le but de rompre la solitude dAdam.  Dans lhistoire de linterprétation du texte biblique cette idée a été souvent véhiculée. Mais de tout temps aussi, ce compagnonnage a été valorisé dans la notion du côte à côte de lhomme et de la femme, un côte à côte qui créé une égalité de fait.

Déjà Saint Thomas dAquin, au treizième siècle écrivait ceci : « Si la femme avait été tirée dun os de la tête, elle aurait représenté lorgueil. Si elle avait été tirée dun os du pied, elle aurait été esclave. Elle a été tiré dun os du milieu, donc elle se situe au milieu de l’être humain ». 

Milieu de l’être humain, le côte à côte de lhomme et de la femme, le compagnonnage voulu par Dieu est une relation d’égalité, d’équivalent, de vis-à-vis. Et pour renforcer ce trait fondamental, quand dans le récit Dieu a fini sa création de la femme Adam dit : « voici cette fois los de mes os, et la chair de ma chai, celle-ci on lappellera femme isha en hébreu -  car cest de lhomme ish en hebreu - quelle a été prise ». Isha Ishe en hébreu la différence entre lhomme et la femme nest que dune seule lettre isha, ishe dans la langue hébraïque se dit fondamentalement une équivalence et une égalité.
Compagnonnage, équivalence, égalité entre homme et femme, jinsiste très largement sur ce trait ce trait que lon retrouve dans le tableau de Chagall dans le couple enlacé. Si cest Eve qui tient la pomme dans le tableau comme dans lEcriture elle ne saurait être plus pécheresse que lhomme puisquils sont fondamentalement en relation de côte à côte, de vis-à-vis, d’égalité.
Cette égalité instaurée par Dieu est je crois, encore aujourdhui un combat. Quand bien même le droit des femmes est, ici du moins dans un occident confortable, le droit des femmes est le même que celui des hommes ; nous avons au nom de notre foi, au nom de notre relation à Dieu à dire que rien na à abaisser la femme vis-à-vis de lhomme, que rien ne justifie une dévalorisation religieuse de la femme, rien ne justifie linstrumentalisation de la femme.
Ce texte de la création bien entendu vient dire à lapôtre Paul quil se trompe quand il veut placer la femme en soumission à lhomme. Et ça il nous faut sans cesse y revenir, dans la rencontre dautres traditions religieuses, dautres conceptions culturelles.
Sur Internet jai trouvé la video de cette campagne interreligieuse en Inde un pays ou le droit des femmes est souvent bafoué une video qui circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux :



« toutes les religions protègent les femmes ; protéger les femmes est une religion » dit le slogan. Le viol des femmes en Inde est un vrai problème de justice et de droit. Et il est heureux que les religions s'unissent pour défendre le droit des femmes. 

Egalité dans les relations de lhomme et de la femme cest la première idée que je retiens du récit de la création et la seconde idée dit quelque chose de toute vie humaine tant femme que homme. Cest la notion de sortir de quelque part, ou d’être tiré de quelquun. Ça semble peut être un peu hermétique mais cest je crois quelque chose de peut-être plus fondamental encore que nous dit le texte biblique. 

Pour bien entendre cette idée, le texte nous dit que la femme est tirée de la côte dAdam et aussitôt le récit fait le lien avec « lhomme laissera son père et sa mère pour sattacher à sa femme ». La femme est tirée de la côte, et l'homme doit se tirer de chez ses parents, si vous me passez l'expression. Cest  assez surprenant ce lien entre la création de la femme à partir de lhomme et la séparation de lhomme de son père et sa mère, dautant plus surprenant quAdam - souvenons-nous en - na ni père ni mère dans le récit biblique. 

Le lien est surprenant et pourtant dans les deux cas il y a quelque chose qui se dit dune séparation. La femme est tirée, séparée de lhomme, et lhomme est séparé, tiré de son père et sa mère. Ce que nous dit le texte cest que pour exister il faut accepter une séparation, une coupure, une sortie, mais ce que nous ne sommes nous ne pouvons l’être qu’à partir dautres. 

Exister dailleurs, le mot exister étymologiquement dit que « lon est à partir de » - ex-istere en latin. Lors de sa création Eve existe à partir de lhomme, et lhomme existe à partir de son père et sa mère. Lhumanité est dans une relation de dépendance les uns vis-à-vis des autres. Une dépendance que, je crois, nous avons du mal aujourdhui à valoriser. 

Aujourdhui nous vivons sous lidéologie du self-made-man pour le dire en anglais : cest lidée de réussir sa vie tout seul ne rien devoir à personne, cest lidéal de la construction de soi. Or, le texte biblique nous dit quau contraire, nous ne pouvons vivre quen reconnaissant la dette qui nous lie aux autres. Une dette fondamentale : nous ne pouvons vivre qu’à partir des autres.
Et si je critiquais la vision paulinienne de la relation homme femme, je trouve chez lapôtre Paul un très bel écho de cet endettement, de la dépendance de toute  lhumanité. Dans l’épître aux Romains, quand il écrit : « Nayez aucune dette les uns envers les autres, si ce nest de vous aimer les uns les autres » - parler damour en terme de dette ma toujours paru étonnant. Mais ce que vient dire le texte de la création cest que toute vie est endettée de vies lui précédant. 

Nous voici aujourdhui invités à entendre le mythe de la création dEve, plus quun discours rationnel, plus quun récit historique ; le mythe est une œuvre dart : poème, musique, représentation. Le mythe porte en lui-même plus quil ne raconte. Jai choisi pour ce dimanche deux notions : l’égalité homme-femme dite dans le côte à côte dAdam et Eve, et la dépendance de toute existence, dépendance de toute vie à l’égard de la vie des autres. Une dette, une dépendance dans lamour dite dans la sortie dEve du côté dAdam et dans le fait que tout homme quittera son père et sa mère.  

Ces deux idées ne limitent pas le texte, il y aurait pu en avoir bien dautres dautres idées par lesquelles nous pouvons essayer de traduire la bonne nouvelle de Dieu. Une Bonne Nouvelle qui nous invite dans cette vie et dans ce monde, à compter sur lui pour vivre damour.
Ces deux idées ne limitent pas le texte car cette création est une ouverture, une ouverture absolue à l'espérance.
Dans cette ouverture que nous sachions vivre le courage de la foi, de l'amour et de l'espérance. Amen.

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