dimanche 29 novembre 2015

Prédication du 1er dimanche de l'avent - 29 novembre 2015

Evangile selon Luc, chap. 2, 46 à 55 : 

46Et Marie dit : 
 Je magnifie le Seigneur,
47je suis transportée d'allégresse en Dieu, mon Sauveur, 48parce qu'il a porté les regards sur l'abaissement de son esclave.
Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse,
49parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Son nom est sacré,
50et sa compassion s'étend de génération en génération
sur ceux qui le craignent.
51Il a déployé le pouvoir de son bras ;
il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,
52il a fait descendre les puissants de leurs trônes,
élevé les humbles,
53rassasié de biens les affamés,
renvoyé les riches les mains vides.
54Il a secouru Israël, son serviteur,
et il s'est souvenu de sa compassion
55— comme il l'avait dit à nos pères —
envers Abraham et sa descendance, pour toujours.

Nous voici au premier dimanche de l’avent : « déjà ! » diront certain, ceux qui ne voient pas le temps passer, ceux qui ne comptent plus les jours ajoutés aux jours. « Enfin ! » diront d’autres, heureux de voir se terminer cette année 2015, enfin ! Que ce soit un déjà ou un enfin, l’avent est, déjà ou enfin, ce temps qui s’ouvre vers Noël.
Suzanne de Dietrich, théologienne « laïque », c'est-à-dire jamais « ordonnée », est une femme qui a marqué les églises tant protestantes que catholiques dans les années 60 à 70. Elle évoquait ainsi les débuts de l’évangile :
« l’ère qui s’ouvre est celle du règne de Dieu. C’est le Roi en personne qui vient vers les siens pour accomplir leur libération.
Le prince étranger auquel Jésus vient arracher son peuple n’est plus un Pharaon ou un Nébuchadnetzar, mais bien le « Prince de ce monde » dont les Pharaons et les Nébuchadnetzar n’étaient que les éphémères figurants sur la scène de l’histoire.
Le joug dont Jésus va le délivrer est celui du péché ; l’exil dont il va le délivrer est la grande fuite loin de la face de Dieu. Il est l’Emmanuel : Dieu avec nous ».
C’est ça l’avent ! Se préparer à faire face à l’Emmanuel, faire face à Dieu, entendre la prédication du règne de Dieu, la Parole de libération du péché : Etre arraché de la mort pour être vivant rien de moins ! Le programme est considérable.
Dans notre parcours de l’avent, le texte de l’évangile selon Luc va servir de base à toutes mes prédications – rythmant notre marche vers Noël.
Ce texte, ce magnificat est le témoignage d’un avent. L’avent de Marie, quand elle entame son Magnificat, Marie est enceinte et elle le sait. Elle sait aussi pourquoi elle est enceinte : Gabriel, le messager de l’Eternel, l’ange du ciel, lui a tout dit : son fils « sera appelé Fils du très haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David ». Ce Magnificat est donc le témoignage de Marie rédigé par Luc à la suite de sa rencontre avec l’ange, avec ce messager et la parole de son Dieu. Témoignage de Marie.

Marie, et il faut bien commencer par là, Marie la caricature : Marie la mal aimée du protestantisme et la bienaimée du catholicisme – caricature-t-on souvent. Sans se souvenir ou sans savoir que si Luther et Calvin admettaient la virginité perpétuelle de Marie, saint Thomas d’Aquin, lui, la refusait. Eh oui, un des plus grands docteurs de l’église catholique refusait le dogme marial tout en étant canonisé.
Marie caricaturée, déchirée : « les protestant ne croient pas en Marie » entend-t-on souvent, comme si, comme si nous avions arraché des pages de nos Bibles. De la même manière caricature-t-on la théologie catholique en l’enfermant dans une dogmatique sévère. Tout n’est pas blanc ou noir…
Car oui, Marie est un personnage biblique, une de ces femmes qui marquent le récit de la révélation de Dieu, qui marquent ce récit fortement. Une parmi d’autre – car elle n’est pas la seule, et surtout elle n’est pas la première femme à marquer le texte Biblique. A l’écoute du Magnificat, on peut se souvenir particulièrement d’Anne, tant les deux femmes sont proches malgré les siècles qui les séparent.
Anne cette femme stérile du premier testament dont le Seigneur se souvient, qui tombe enceinte et qui apporte son garçon Samuel au temple, pour le service du Seigneur. Anne qui alors a prié comme Marie a chanté : « Par le Seigneur mon cœur exulte »…. Comme Anne, Marie est une femme de la Bible, une femme en relation avec Dieu, avec le Dieu de la première alliance, car c’est une femme juive.
D’ailleurs, tout dans le Magnificat dit de Marie qu’elle est une fille d’Israël, la suite du récit le répètera. « Marie reprend la prière des femmes de son peuple », j’ai cité Anne, mais il y avait aussi Myriam dans le livre de l’Exode. « Elle est d’autre part soumise à la législation concernant les différents états de la femme ». Par exemple, l’insistance sur la virginité de Marie est de l’ordre du respect de la loi et de la tradition. Loi et tradition qui seront respectées après la naissance de Jésus avec sa circoncision, sa présentation au temple et les rites de purification.

Marie, une femme juive, à travers ses mots, fait acte d’une véritable confession de foi – elle nomme son Dieu, elle le désigne. Son chant transpire de l’identification de son Dieu. Dans la louange elle dit qui est Dieu, qui est Dieu pour elle. Cette nomination, cette désignation passe par plusieurs traits – j’en relève trois.
D’abord il y a ce que classiquement on appel les titres - elle nomme Dieu à travers 3 titres : le Seigneur, mon Sauveur, le Puissant. En quelques mots un visage de Dieu se dessine : Dieu est Seigneur : « celui qui a la souveraineté » - « désignation liturgique de Dieu ». Dieu est le Sauveur de Marie – on ne peut se passer d’une rencontre individuelle et personnelle, prise de conscience, dans laquelle le Seigneur devient mon Sauveur ; celui qui me relève et me donne à vivre. Par là, le Seigneur, mon Sauveur est le Puissant : reconnu comme celui qui est la source de ma vie, la puissance qui m’anime et me donne le souffle.
Mais en plus de ces titres, Marie nous livre ensuite un visage de Dieu qui est en quelque sorte sa relecture du premier testament. Dieu y apparaît comme le libérateur, celui qui élève les humbles, celui qui rassasie les affamés et qui donne à tous juste de quoi vivre ; il donne aux pauvres et renvoi les riches les mains vides mais vivant – juste de quoi vivre.
Il apparaît alors comme le Dieu de l’alliance avec Abraham. Le Dieu qui promettait un peuple élu et une terre promise. Oui, au risque de me répéter, le Dieu de Marie est fondamentalement le Dieu de la première alliance, le Dieu des juifs, ce Dieu dont « le nom est sacré », au point que l’on ne le désigne pas.
Enfin et à deux reprise Marie par son chant nous dit que Dieu a compassion. Au v. 50 : « sa compassion s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent » ; et au v. 54 : « il s’est souvenu de sa compassion – comme il l’avait dit à nos pères, envers Abraham et sa descendance pour toujours ».
Avec ce motif de la compassion, Marie n’invente pas, mais elle reprend un motif biblique, déjà dans le psaume 103 il est écrit au v. 4 que « le Seigneur te couronne de fidélité et de compassion » puis au v. 13 : « Comme un père a compassion de ses fils, le Seigneur a compassion de ceux qui le craignent ».
Le pasteur Jean Vannier écrivait que
 « la compassion est une qualité de présence qui fait que celui qui est dans la détresse ne se sent plus tout seul et peut reprendre courage {…} la compassion est alors le sommet de l’amour ». 
Dire la compassion de Dieu, c’est donc dire sa présence, une présence encourageante, mais surtout son amour, ceux qui le craignent sont alors ceux qui croient, qui espèrent.
Car peut-être faut-il finalement ne retenir qu’une seule chose de ce texte ; ce chant est un cri d’amour. Oui entre une louange et une confession de foi, l’évangéliste Luc nous donne à entendre : le cri d’amour d’une femme qui a ressenti la compassion, l’amour de Dieu au plus profond de son être.
C’est ainsi que commence la proclamation du règne de Dieu, la délivrance du péché, la sortie de l’exil loin des regards de Dieu et de ses bénédictions : un cri d’amour, le Magnificat. Luther écrivait : « Magnificare, veut dire magnifier, exalter, glorifier. On l’utilise pour célébrer celui qui est capable de réaliser beaucoup de grandes et bonnes choses, qui sait et veut les réaliser. C’est ici le cas pour Dieu dans le Magnificat. »
Et Luther insistait : 
« Il ne suffit pas d’ailleurs de croire que Dieu est disposé à faire de grandes choses pour d’autres à l’exclusion de nous-mêmes. C’est l’erreur que commettent ceux qui, puissants, n’ont aucune crainte de Dieu ; et ceux qui, faible et opprimés, se laissent aller au découragement ». 
Dieu est prêt à faire de grande chose pour moi, pour toi, pour nous. 
 
Magnificat, ce qui arrive à Marie, fille d’Israël est pour nous – en ce temps de l’avent – programmatique de la rencontre avec le Dieu qui se fait, par elle, le Dieu avec nous. La Parole résonne pour nous : puissants ou faibles, dans la crainte ou le découragement. 
 
« Magnificat ! », 
Encore aujourd’hui et surtout demain le règne de Dieu est à vivre au cœur du monde.
Nous sommes aimés de Dieu sans condition – nous avons du prix à ses yeux. Sa compassion veut revêtir nos vies pour nous donner d’aller par sa liberté, de traverser les troubles du monde, d’être signe de paix face à la violence du monde, être signe d’amour face à toutes les peurs. Et nous le savons : il y en a, nos vies regorgent de violence
 
« Magnificat ! »
La louange ne nous déracine pas du monde. L’évangile ne nous invite pas à nous échapper du monde. Mais là, là où nous sommes nous pouvons commencer par dire notre reconnaissance à l’égard de la compassion de Dieu, un amour qui n’a pas de fin. Et dans la louange, dans l’adoration, alors nous pouvons reprendre confiance et lutter contre les discours de haine et les discours de peur. Toutes les paroles et toutes les actions qui essayent de rompre la confiance et le vivre ensemble, pour instiller la défiance et la violence. 
 
« Magnificat ! »
Marie témoigne du Christ qui nous a libéré du « prince de ce monde » pour que nous puissions aimer sans frontières ni peurs, sans limites ni angoisses. Nous libérant de toutes nos prétentions à exister par nous-mêmes, le Christ nous ouvre à l’horizon infini de l’amour de Dieu.
Au Christ seul soit la gloire. Amen.

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