vendredi 27 novembre 2015

Prédication du 22 novembre - Christ roi

Philippiens 2, 5 à 11 : 
5Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ :
6lui qui était vraiment divin,
il ne s'est pas prévalu
d'un rang d'égalité avec Dieu,
7mais il s'est vidé de lui-même
en se faisant vraiment esclave,
en devenant semblable aux humains ;
reconnu à son aspect comme humain,
8il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à la mort
— la mort sur la croix.
9C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé
et lui a accordé le nom
qui est au-dessus de tout nom,
10pour qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11et que toute langue reconnaisse
que Jésus-Christ est le Seigneur
à la gloire de Dieu, le Père.


Inattendu des lectures du jour, stupéfaction peut-être pour certains.
Avant Noël, avant l’avent, la crucifixion ; avec ce texte de la lettre aux Philippiens

Ça fait un peu « hors saison », je vous l’accorde. Le vendredi saint avant Noël, c’est un peu comme si je vous proposais d’aller à la plage un jour de froid comme aujourd’hui. Et pourtant, malgré Noël qui s’annonce d’ici un mois, malgré le froid, malgré l’avent qui déjà advient – la croix a aujourd’hui sa raison d’être. Ou du moins il y a une raison. Qui vaut ce qu’elle vaut mais qui explique, pourquoi le texte d’aujourd’hui est ce très beau passage de la lettre de Paul aux Philippiens. 

Cette raison se trouve dans le calendrier liturgique, c’était affiché là au début du culte, nous sommes au dimanche du Christ roi – fête qui marque la fin de l’année liturgique. Dimanche prochain, avec le 1er dimanche de l’avent nous entamerons une nouvelle année – même si plus personne ne le remarque.

Bref nous sommes au dimanche du Christ roi et cela explique que nous entendions le récit de la crucifixion.

Le Christ roi, c’est le Christ crucifié, ceci est clairement exprimée, ici, dans l’épître de Paul aux Philippiens – la souveraineté a été donné au Christ après la crucifixion, après la croix, dans un process d’abaissement, dans une logique d’un Dieu fait homme.

Le Christ roi, c’est le crucifié : C’était déjà dit dans l’évangile au moment de la crucifixion. Pour ne prendre que l’évangile selon Luc, par exemple, la mention de  la royauté y est répétée deux fois – en quelques versets. – la première – sur l’écriteau fixé au-dessus de Jésus sur la croix : « c’est le roi des juifs » et  – la seconde – dans la bouche d’un des bandits crucifié avec Jésus : « Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi ».

Le Christ roi, c’est le christ crucifié. Cela peut paraître contradictoire, mais cette contradiction fait, qu’en fait, le récit de la croix n’est pas si éloigné du récit de la crèche qu’on voudrait bien le croire.
Cette contradiction fait qu’on est en même tout proche de Noël.

Quand Syméon, le vieux, voit arriver Jésus au temple pour être présenté, il dit : « cet enfant est au monde pour être un signe de contradiction » (Traduction par Marc Boegner – in Jésus Christ, Conférences, p. 17). Signe de contradiction l’enfant qui naît dans une crèche va mourir sur la croix. Il n’a comme symbole de royauté qu’une couronne d’épine – déguisement tressé par ceux qui l’assassinent.

Le Christ roi, signe de contradiction. Aujourd’hui il ne nous reste plus que ça aujourd’hui comme sens ou signification à mettre derrière ce titre Christ roi. Pourtant, pendant des siècles la mention du Christ-roi renvoyait à beaucoup plus. Nous aurions pu  entendre aujourd’hui aussi, le récit de l’onction de David dans le second livre de Samuel – comment David est devenu roi, comment il a pris le pouvoir.

Il faut à la lecture de ce texte se souvenir que la royauté a été pendant longtemps le seul régime politique sur la terre – que l’on appelle ça un chef de tribu, un empereur, un prince régnant ou consort… ; la royauté – le dépôt du pouvoir dans les mains d’un seul homme a longtemps été le sort partagé de l’humanité.

Aussi gardant à l’esprit ce modèle politique, ce modèle universel à l’époque des évangiles, l’affirmation du christ roi vient donc se heurter à la question de la domination du monde – qui a le pouvoir aujourd’hui ?  et à qui peut-on comparer le roi , la figure du roi ?

Vraie question à laquelle on ne peut apporter que des réponses partielles. Certains diront sans doute Barach Obama, n° 1 de l’Etat n° 1 – il n’a néanmoins pas les mêmes prérogatives qu’un empereur Romain.
D’autres diront peut-être les médias, ceux qui font l’information qui dirigent le monde en ce qu’ils focalisent l’attention sur tel ou tel problème.
D’autres, plus souvent encore, diront que c’est le capital, c’est l’argent-roi et non plus une personne qui a le pouvoir aujourd’hui. Etc. ect.

Je ne trancherai pas dans ce débat, de ce qui fait figure de « roi » aujourd’hui, mais force est de constater que la personne, le lieu, ce qu’est le pouvoir n’est  plus aussi clairement définit que dans les premiers siècles. C’est flou et ce flou profite sans doute à celles et ceux qui sont en capacité de faire peur. Aux barbares ou aux fondamentalistes qu’ils soient des religieux islamistes ou des politiques nationalistes ; en fait, ce sont les mêmes. Les mêmes jouant avec les mêmes peurs. 

Aussi face à un tel délitement du pouvoir, un effacement du lieu de la domination du monde – parler de royauté n’est pas évident à comprendre. D’autant que par la force de contradiction, cette force de contradiction qui présente un roi dans un condamné à mort, et qui fait de la croix le lieu de gloire du Christ. Il ne s’agit, en parlant du Christ-roi, ni de ressusciter une conception monarchique abandonnée à coup de guillotine, ni même de prôner un pouvoir absolu qui dominerait en écrasant.

Mais il s’agit de dire également un pouvoir, une domination, du Christ sur le monde – qui s’inscrit dans la figure politique de la royauté de l’époque.

Oui dire que le Christ est roi – qu’est-ce que cela veut dire ? Et qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui, alors que règne la peur, alors que nous sommes une semaine après le massacre de Paris.

A partir du texte de Paul aux Philippiens, j’entends deux sens à la royauté du Christ. Reconnaître le Christ Roi c’est d’abord – premier aspect - se reconnaître comme participant d’une histoire dans laquelle le Christ a agit par le passé, et dans laquelle le Christ agira dans l’à-venir. Entre l’histoire et l’avenir c’est ce qu’écrit l’apôtre Paul : l’histoire du crucifié et l’espérance de l’élévation dans la gloire de Dieu.

Dire que le Christ est roi, c’est donc affirmer par la foi – que même si bien souvent nous ne l’entendons pas, nous ne le voyons pas, nous ne le sentons pas – il s’est fait entendre, voir et sentir dans l’histoire, et il se refera entendre, voir et sentir dans l’à-venir. Fidélité au passé, et espérance en ce qui vient. Nous sommes inscrits sur les paumes de Dieu diraient les prophètes du premier testament.

Le deuxième aspect, entre le présent et le futur de la royauté du Christ, ce qui se donne à entendre, c’est une nouvelle définition de la domination. Si le Christ est roi sur la croix, c’est donc que ce n’est pas celui qui écrase qui dirige. Ce n’est pas celui qui accuse – mais c’est bien plus celui qui est écrasé, et celui qui est accusé, celui qui s’est vidé de lui-même – il s’est dépouillé écrit Paul.

Domination par la faiblesse, pour reprendre le signe de contradiction  dite tout à l’heure. Domination par l’amour, s’il l’on fait de la croix un geste d’amour jusqu’au boutiste.

Christ roi, Seigneur de l’histoire – dominant dans la contradiction, par sa faiblesse ou son amour. C’est cette histoire qui commence par l’attente de Noël avec la période de l’avent qui s’ouvrira dimanche prochain. Cette histoire d’une espérance née au cœur du monde, de la part de Dieu.

Cette histoire n’est pas un angélisme. Elle ne dit pas un royaume de l’ordre d’un au-delà. Mais cet histoire se coltine notre monde, et elle se tisse en contradiction avec notre histoire. Dans la tradition de l’église cette descente du Christ s’est entendue jusqu’aux tréfonds du monde : il est descendu aux enfers disait le symbole des apôtres

Quand Paul dit que Christ est descendu d’auprès de Dieu jusqu’à la mort, c’est dire qu’il se coltine la violence du monde, toute la violence, y compris celle qui s’est déchainée la semaine passée à Paris, un véritable enfer.

Si dans les années 60 Sartre écrivait : « l’enfer c’est les autres » aujourd’hui il faut rectifier le constat et il nous faut réaliser que « l’enfer c’est nous-mêmes ».C’est la civilisation contemporaine –unique et mondialisée- qui a suscité ses monstres. Renvoyer les barbares et les terroristes à l’altérité en en disant qu’ils ne sont pas d’ici, qu’ils ne sont pas comme nous, c’est une vue de l’esprit. L’enfer c’est nous-mêmes, cette violence ne nous est pas étrangère. 

Je ne prendrai qu’un seul exemple :
Ainsi le 1er octobre sur la radio europe 1, on pouvait entendre : « Il y a au moins un domaine dans lequel l’économie française réalise des performances exceptionnelles : les ventes d'armes. En effet, jamais la France n'en a vendu autant que cette année. Si l’on bloque les compteurs aujourd'hui, l'Hexagone est même devenu le deuxième exportateur mondial d’armement, derrière les Etats-Unis mais devant la Russie. A deux mois de la fin de l’année, le total des ventes d’armes tricolores en 2015 avoisine déjà les 16 à 17 milliards d’euros. »

Nous bâtissons la richesse de notre pays sur la vente d’armes et nous voudrions rester indemne ? Oui, l’enfer c’est nous-mêmes

Le message du Christ-Roi de contradiction nous invite alors à réaliser qu’il est indispensable de briser la spirale de la violence. Les interventions militaires et les guerres, qui s’appuient sur la militarisation à outrance et entretiennent le lucratif commerce des armes, n’apporteront pas de solution durable et juste aux conflits en cours. C’est une évidence que tout le monde fait mine d’ignorer comme si nous n’avions d’autres solutions.

Or la violence ne fera qu’entraîner davantage de morts, de destructions, de réfugiés et engendreront de nouveaux actes de terrorisme.

Ce que murmure le Christ Roi c’est que notre monde a besoin de développer une culture de non-violence et de paix ; ce que les évangiles appellent très justement le Royaume. Ce n’est pas faire de l’angélisme, mais c’est dire le besoin d’un règne de justice : justice sociale et justice entre les peuples. Il est urgent de soutenir et de donner les moyens à tous celles et ceux qui sont porteurs de ces valeurs pour qu’ils puissent agir auprès de leurs concitoyens et de leurs dirigeants. C’est, sans angélisme, le meilleur moyen de travailler à la sécurité de tous et de prendre soin de nos vies et de toutes celles qui nous entourent.

Oui, dans la fidélité au Christ Roi, nous croyons que Dieu nous appelle à l’amour désarmé de nos frères et de nos soeurs en humanité. S’entend alors  l’appel à tous les croyants à se rejoindre sur ce chemin d’une non-violence active pour tracer les chemins du royaume. S’entendent alors les demandes à élaborer un monde où chacun pourra vivre dignement dans une paix assurée et vers un futur apaisé.

Alors pour cette année liturgique nouvelle qui s’ouvre aujourd’hui,
Que dans ses contradictions ce Christ-là vous aide à vivre-ensemble avec les nôtres. Amen.

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